Pour avoir dévié des principes d'honneur,
Avoir trop écouté le cri de la misère,
De la nécessité le sophisme trompeur,
Pour être enfin sorti de son bon caractère,
Nous avons vu notre chien affamé,
Honni, battu, presqu'assommé,
Je Je vois, dit-il, dans la vie
Il n'est qu'une honnête industrie,
Mais que faire ? et que font les talents, sans emploi ?
Puisque personne ici ne veut de moi,
Sans protection, sans avance,
Je ne puis voir l'avenir sans effroi,
Que faire ? N'est-il plus pour moi de providence !
Dans ces tristes pensers, il allait... Quand au coin
De la place Dauphine, il aperçoit de loin
De badauds une foule immense.
Il y court : c'est Bertrand cadet et Guenillon,
Avec sa sœur la charmante Sautille,
Tous trois coiffés, tous trois en cotillon,
Marchant, sautant, dansant debout. Le bonheur brille
Au milieu d'eux. Le maître en son chapeau
Voit pleuvoir à la fois les cinq et dix centimes.
Bon, dit Moufflard, voilà bien du nouveau.
Ces talents-là sont-ils donc si sublimes ?
N'en puis-je pas bien faire autant ?
Et le voilà sur les pieds de derrière
Qui se dresse. Il n'a point fait cinq pas en avant,
Qu'il tombe, et ce n'est pas à terre ;
Dans sa chute, il renverse, hélas !
L'étalage d'une orangère :
Présomption de sottise est la mère.
Quels cris, quels horions, quels affreux brouhahas.
Oh ! pour le coup, à la rivière
Il courait se jeter la tête la première,
Lorsque le vieux Italien,
Maître de l'aimable Sautille,
Dit : que l'on me laisse ce chien ;
Un de plus dans notre famille
Pour la dépense ce n'est rien :
Je veux en faire quelque chose.
Las ! au pain près, son sort n'en fut plus doux.
L'Italien en fit un virtuose,
Mais ce fut à force de coups.
En bien, en mal, de nous le destin seul dispose.