Moufflard et le Loup hospitalier Bourgeois-Guillon (19è siècle)

En attendant toujours que, tôt ou tard,
De ses maux la somme finisse,
Nous avons vu l'infortuné Moufflard,
Souvent sur le pavé, souvent hors de service,
Du sort essuyer le caprice.
Nous avons vu, comme au château voisin
On supprima brusquement la pitance
Qui le sauvait à peine de la faim ;
Nous avons vu, dans quelle circonstance,
Et comme un bon Italien
Voulant l'associer à l'aimable Sautille,
L'introduisit dans sa famille-
Mais, las ! de notre pauvre drille
Ne pouvant assouplir le jarret ni les reins,
Il le laisse à travers chemin.
Désespéré, perdant presque courage,
Moufflard se dit : retournons au village,
Car de la liberté, de Paris, je suis sou ;
Moufflard n'était pas né pour sortir de son trou.
Voyons Guillot ; Guillot est dans la bière.
Le berger du village est un berger nouveau,
Du pauvre accueillant mal la plainte et la prière :
Il est chargé, dit-il, d'un très-nombreux troupeau,
De plus il doit ses soins aux chiens de la commune,
Et Moufflard pour lui n'en est plus,
Tous discours seraient superflus ;
Qu'ailleurs Moufflard cherche fortune.
D'insister trop Moufflard se garde bien.
Dans ce pasteur il trouve un vrai Pharisien
Qui, croyant marcher droit sur la ligne du bien,
Aisément d'un rien s'importune.
Que faire pourtant ? Pour le coup,
Sur ces principes bien moins ferme,
(Un dur pasteur les ébranle beaucoup.)
Il allait.... quand il voit courir hors de la ferme,
Un mouton sur son dos, ce loup, ce même loup
Qu'il a quitté jadis d'une façon fort leste :
Il l'aborde, lui conte en peu de mots son cas.
Oh, oh ! lui dit le loup, mon cher, tu n'es plus gras !
Mais avec cette charge, et tout ce qui nous reste,
Au charnier, nous pourrons faire plus d'un repas.
L'essentiel est de presser le pas.
Viens, en soupant tu me diras le reste.

Un loup si charitable ! On ne me croira pas.

Livre III, Fable 19




Commentaires