Voyez ce troupeau de moutons,
Broutant selon sa fantaisie
Dans une opulente prairie :
Il attaque tous les gazons,
A la fois, par gloutonnerie,
Sans rien ménager du butin
Qu’il a trouvé sur son chemin.
Quand il aura fini sa course,
Il n’aura pour toute ressource
Que de petits brins d’herbe épars
Et desséchés de toutes parts.
En vain revenant sur sa trace,
Cherchera-t-il de place en place
Ces verts produits d’un beau printemps,
Dévorés en si peu d’instants.
C’est ainsi que notre nature
Fait grand abus de sa pâture,
Avec tant de rapidité,
Dans les jours de fraîche verdure,
Qu’il n’en reste guère en été;
Et pour s’être trop bien servie.
Lorsqu’elle a gaspillé sa vie.
En toute chose, à si grand train,
Il ne faut pas qu’elle s’étonne
De ne trouver dans son automne
Nulle apparence de regain.
Quant à l’hiver de la vieillesse,
Heureux est l’homme à qui Dieu laisse
Un cœur aimant, le souvenir,
L’espérance de bien mourir,
Ce rayon de céleste flamme
Qui vient luire au fond de notre âme,
Et qui fait que nous prétendons
Valoir bien mieux que les moutons.
Est-ce une valeur bien certaine ?
Ma foi, je vous en fais l’aveu,
De temps en temps j’en doute un peu,
N’en déplaise à l’espèce humaine :
Il est des écarts de moutons
Que trop souvent nous imitons.