Les Moutons Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

« Quel homme que Cléon ! qui tiendrait à la chaine
Comme lui le peuple d'Athènes ?
Il fait signe : on accourt. Ii parle : on applaudit.
Il est sorcier sans contredit.
C'est quelque Dieu sous face humaine. »
A table un jour chez Phébidas,
Ainsi parlait Direcllidas.
Quelqu'un lui répondit : « Pai dans ma métairie
Certain valet, petit génie,
Qui, chargé de conduire a la ville un mouton,
Employa vainement menaces et biton.
Et l'avaine et le sel sans vertu se trouvèrent.
Mes champions si bien luttèrent,
Pressés et pressants tour à tour,
Que sans avoir franchi la cour,
Dans l'étable ils se séparèrent.
Aux dépens du bonhomme on sut bien s'égayer.
On le nomma dompte-bélier.
Plus tard il fallut à la ville
Mener le troupeau tout entier.
J'appelai mon nigaud. « Eh ! Seigneur, ils sont mille.
Un seul est plus puissant que moi. —
Va, lui dis-je, va sur ma foi. »
Il obéit, et chaque bête
Marchant docile au commun mouvement,
La queue enfin du régiment
Devant elle poussant la tête,
Qu'elle croit suivre seulement,
L'habile homme au marché d'Athènes,
Sans chien, sans corde, sans bâton,
Sut mener le peuple mouton
Tout ainsi que Cléon vous mène. »