Horace et Davus Éliphas Lévi (1810 - 1875)

Que ne suis-je au pays des sylphes, des lutins !
Que ne puis-je changer en roses les épines !
Que ne puis-je en héros transformer les Frontins,
Et les vains bruits du monde en musiques divines !
Ainsi parle souvent, dégoûté d'ici-bas,
Un songeur aux ailes tardives,
Qui ne trouve jamais que cailloux sous ses pas
Et qu'eau bourbeuse aux sources vives.
Le ciel, prenant pitié des fragiles humains,
Leur asservit pourtant une nymphe, une fée,
Une magicienne aux bienfaisantes mains,
D'étailes et de fleurs coiffée.
Elle dit aux cailloux : Soyez des diamants ;
Elle crée une gloire aux penseurs qu'on oublie ;
Elle donne et soumet aux désirs des amants
Une vierge toujours jolie ;
Elle aime à partager avec l'invention
Le bonheur d'égayer le poète morose ;
Elle ennoblit, transforme, anime tout chose :
Et c'est l'imagination.
Horace un jour disait à Davus, son esclave :
- Je suis triste, console-moi :
Le beau jour de Saturne aujourd'hui te fait roi,
Et la fière Lydie impunément me brave !
Ah ! je suis las de ces beautés
Toujours froides, toujours vénales ;
Mon cœur veut célébrer aussi ses saturnales
Et reprendre sa liberté.
Je tiendrais dans mes bras la reine de l'Asie,
Que je dirais : Voilà l'esclave du plaisir,
L'esclave de la fantaisie :
Elle n'a mérité ni regrets ni désir.
- Tout beau, répond Davus, ce n'est point ma méthode
D'avilir ainsi mes amours ;
Et puisqu'à ce doux jeu l'on se trompe toujours,
Je n'aime pas à votre mode.
La fantaisie est bonne, elle ne coûte rien.
Une reine est pour vous une servante ; eh bien !
Quand elle me tient à sa chaîne,
La servante pour moi grandit et devient reine.
D'une cabaretière ai-je subi la loi,
Pour moi, c'est la déesse Ilie,
C'est la jeune Vesta, c'est la nymphe Egérie !...
- Le maraud, dit Horace, a plus d'esprit que moi.

Davus avait raison : tout n'est qu'imaginaire
Dans les fantômes du désir.
Laissons donc le bandeau sur les yeux du plaisir,
Et rendons belle au moins notre erreur volontaire.

Livre IV, fable 8






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