En repassant les mers, une jeune hirondelle
Songeait à son vieux nid qu'elle allait retrouver,
Là-bas, sous les créneaux d'une haute tourelle,
Dont, loin de son pays, elle aimait à rêver.
Elle l'avait quitté par un gros temps d'orage ;
Ses frères et ses sœurs voltigeaient en avant,
La mère les guidait dans leur pèlerinage.
A travers la tempête et la pluie et le vent,
Combien avaient péri sous les coups des éclairs ;
Et combien, engourdis par un temps froid, humide,
S'étaient vus emportés dans l'écume des mers,
Avant de parvenir au rivage Numide...
Elle en pleurait encore, et pourtant, le ciel pur
L'entourait, maintenant, de lumière et d'azur.
Et la mer reposait dans un calme sublime,
Comme un lac immobile au fond de son abîme.
De joyeux compagnons, à la marche aguerris,
Sous la voûte du ciel, immense solitude,
Fendaient l'air auprès d'elle, égayant de leurs cris
Les braves voyageurs tombant de lassitude.
« Voyez ! s'écriaient-ils, là-bas, comme un ruban,
La terre, sur les flots, se déroule en turban.
On la découvre à peine, et pourtant elle avance.
Allons ! courage, amis : c'est la belle Provence. »
Et, saluant de loin ces rivages aimés,
Nos pauvres pèlerins se sentent ranimés !
Il leur semble, parfois, que la terre recule,
Mais elle reparaît aux feux du crépuscule.
Enfin, la bande arrive, au milieu de la nuit,
Et sur le sol sacré se repose sans bruit.
Dormez, chers exilés ; sur la branche ou la mousse,
La terre des aïeux à leurs enfants est douce,
Elle vous reconnaît ; ce grand frémissement
Qui pénètre vos cœurs est un embrassement.
Reposez-vous ; demain, quand brillera l'aurore,
il faudra repartir et voyager encore.
Chacun ira revoir le nid des premiers jours,
Asile de la paix, du bonheur, des amours.
Ainsi faisait notre jeune hirondelle,
Elle dormait paisible et la tête sous l'aile,
Rêvant de ce vieux nid, qu'il lui semblait revoir,
Suspendu dans les airs, aux créneaux du manoir.
Bientôt le jour revient, la lumière fourmille
Comme une poudre d'or à travers la charmille.
Un cri d'adieu s'entend : les grands et les petits
S'élèvent à la fois, et les voilà partis.
Or, cette même nuit, voilé par la bruine,
Un vieux hibou chantait perché sur sa ruine.
C'était au bord du Rhin, à l'ombre des créneaux,
Où la lune donnait, tremblotant sur les eaux.
A cette heure passait une jeune hirondelle ;
Le hibou miaulait : « Venez, ma toute belle !
Que cherchez-vous ici dans un si grand émoi ?
Venez, fille de l'air, vous reposer chez moi ;
Je veux vous héberger au fond de ma retraite.
— J'arrive de bien loin, répondait la pauvrette ;
Et ne retrouve plus que des lieux inconnus.
0 mes pauvres amis, qu'êtes-vous devenus ?
Cette tour où jadis nous voltigions sans nombre
N'est donc plus aujourd'hui qu'un sinistre décembre ?
Grand Dieu ! je ne puis croire à tout ce que je vois,
Mes frères et mes sœurs, répondez à ma voix.
Suis-je donc seule au monde, errante, abandonnée,
Parmi les étrangers à vivre condamnée ? »
Elle exhalait sa plainte, et notre affreux hibou
La guettait, immobile, au rebord de son trou...
Tout à coup il s'élance avec un cri de joie,
Sous ses ongles velus il a senti sa proie...
Et, lui perçant le cœur d'un grand coup de ciseau,
il dit en ricanant : « Je te tiens, bel oiseau !
Tu ne reviendras plus sillonner le grand fleuve ;
Je te sens palpiter, de ton sang je m'abreuve ;
Car je suis le seigneur, le maître souverain
De la forêt du Hartz et des rives du Rhin.
Éveillez-vous, échos, et qu'un cri de victoire
Annonce, à l'avenir, ma puissance et ma gloire. »
Et le brigand des nuits, sous le ciel étailé,
À la pointe d'un roc, soudain, s'est dévoilé,
il déchire sa proie, et la lune blafarde,
A travers les sapins gravement le regarde.
0 farouche nature ! Où donc est ta bonté?
De la voûte du ciel jusqu'au fond de l'abîme,
Nous voyons triompher la violence et le crime,
L'égoïsme féroce et le vice éhonté.
Comme le bruit des mers, au milieu du silence,
S'élève jusqu'à toi notre clameur immense.
A ton œil impassible il n'est ni bien ni mal,
Et notre seul refuge est un monde idéal.