Le Hibou et le Bûcheron Emile Erckmann (1822 - 1899)

Un bon vieux hibou sylvestre
Jouait fort bien du hautbois,
Et se disait chef d'orchestre
De tous les hôtes des bois.
La nuit, quand vient le silence,
il s'échappait de son trou,
En poussant un grand : hou, lion !
Qui se perdait Dieu sail où.
Dans la solitude immense,
C'était l'heure oit le grillon
Chante sur un ton bizarre,
En pinçant de la guitare.
Les beautés de son sillon.
Où l'étourneau qui gazouille
Dans sa forêt de roseaux,
Entonne avec la grenouille
Le plus tendre des duos.
Notre hibou virtuose,
Ne croyant pas se flatter,
Se donnait, sans hésiter,
Le mérite de la chose.
« Oui, disait-il, les torrents,
Grâce à mon puissant génie,
De tous leurs bruits discordants
Font une grande harmonie.
Étant toujours aux aguets,
Je marque aussi la mesure
De la brise qui murmure,
Sous le dôme des forêts.
J'aime entendre, à la nuit close,
La clochette du troupeau
Qui regagne son hameau,
Où tout le monde repose ;
Et le chant de l'Angelus,
Sur la plaine qui sommeille
Bourdonner, comme une abeille,
Invitant à l'Oremus.
Mais j'aime bien plus encor
Les mille voix de la chasse,
D'un vieux cerf suivant la trace
Aux appels vibrants du cor.
Alors, qu'il tonne ou qu'il vente,
Moi, hibou, roi de la nuit,
Jamais rien ne m'épouvante,
Ni les éclairs, ni le bruit !
Comme il parlait de la sorte,
Une lumière parut
Sous la broussaille à l'affût.
La peur aussitôt l'emporte ;
Vite, il rentre dans son trou,
En dépit de l'harmonie,
Sans pousser un seul : hou, hou...
Malgré son puissant génie.
C'était un vieux bûcheron,
Attardé dans la bruyère,
Qui regagnait sa chaumière
En s'éclairant d'un brandon.
Bien des gens s'en font accroire
Et se gobent bonnement,
En se couronnant de gloire ;
Mais au moindre événement
ils s'éclipsent prestement :
C'est le lin mot de l'histoire.

Livre I, fable 15




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