L'Ours qui se fait peindre Étienne Azéma (1776 - 1851)

Un Ours voulut se faire peindre.
C'est une fable, dira-t-on ;
Autant valait qu'il se fît teindre.
Je sais qu'un ours est peu mignon ;
Mais ce n'est pas une raison
Pour lui refuser sa peinture.
Or, l'atelier d'un Singe étant voisin,
11 y courut un beau matin,
i Faites-moi ma miniature,
Lui dit-il, ne me flattez pas,
Et me peignez d'après nature. »
Le Singe recula trois pas.
Mais s'étant remis de sa crainte,
Il saisit ses pinceaux, ébaucha le portrait,
Prit du noir, rembrunit la teinte,
Et le copia trait pour trait.
Les Ours ont rarement l'usage
De se regarder au miroir.
Quand le monstre eut vu son visage,
Son corps velu, difforme et noir,
Il fut effrayé de lui-même.
Et jetant l'oeuvre avec dédain :
i Que votre ignorance est extrême !
Lui dit-il ; barbouilleur ! faquin !
C'est le diable, ou quelque hippogriffe,
Et non mot que vous avez fait.
Allez, peintre de cabaret ;
Et ne tombez pas sous ma griffe. »

Avons-nous moins de vanité?
De soi l'on est toujours flatté.
Mieux qu'il n'est chacun veut paraître ;
Et c'est des autres que l'on rit.
Le plus sot se croit de l'esprit,
Et le plus laid ne croit pas l'être.

Livre III, Fable 11




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