Rien ne nous fâche tant qu'un espoir avorté :
N'eussions- nous fait dessein que de prendre une Mouche,
Il nous la faut ! voilà notre esprit agité,
Comme s'il s'agissait d'un Éléphant ! La touche
De l'humaine raison, c'est le désir présent,
Qui tout entier s'attache à la plus mince proie ;
Le Diable en doit trouver le spectacle amusant !
L'ennemi tombe-t-il en nos mains , notre joie
Lui devient presque un titre à notre humanité,
Et, s'il nous demandait alors sa liberté,
Peut-être il l'obtiendrait pour prix de sa défaite.
Mais que l'événement, soit adresse ou hasard,
En dépit de nos vœux seconde sa retraite,
Maudit soit-il ! Le drôle eût dû mettre son art
A se venir jeter dans notre gibecière ;
C'est, puisqu'il nous échappe, un sot !
Un des plus robustes esprits
Feu ma Portière,
De la gent Garde-loge, avait, en son ménage,
Outre maint oisillon, l'appoint d'une Souris,
Hôte venu du voisinage,
Apparemment sans en être prié,
Car il n'agréait point du tout à son Hôtesse ;
Mais, l'office était chaude et grasse ; la Princesse,
En y mettant, un beau matin, le pied, -
Soutenez donc qu'il n'est d'âmes ingrates
Que les humains, -avait aussitôt oublié
Ses Dieux Lares et ses Pénates.
Elle se gorgeait là de plantain , de millet,
Et de morceaux de sucre et de colifichet,
Que nos oiseaux laissaient échapper de leur cage ;
Bref, chaque jour , la Belle y trouvait bon pacage ;
C'était pour elle un vrai Couvent. Le jeu
Plaisait à la Nonnain, mais il convenait peu
A Madame la Cellérière,
Qui, la voyant, disait d'un ton de Douairière :
« Les souris, fi, l'horreur ! c'est mon épouvantail ;
Je ne puis supporter l'aspect de ce bétail !
Mais, un chat, ce serait la mort de ma volière. »
Or, tant et tant elle y rêva,
Qu'en se grattant le front, enfin elle trouva
Qu'un vrai piège à souris, c'est une souricière...
Vous le voyez, la Dame était un fort cerveau,
A qui l'on eût à peine appris rien de nouveau...
Muni donc, pour plus d'efficace,
D'un lard, dont le fumet eût séduit l'odorat
D'un rat,
Le satanique éngin est mis en bonné place ;
Et la Matrone va s'asseoir
Dans le grand fauteuil séculaire,
Où la clouait, matin et soir,
Son service funiculaire :
Lunettes sur le nez, la main près du cordon,
Elle s'était, ainsi , donné la marge
De suivre tous les pas du pauvre Bestion,
Sans négliger les devoirs de sa charge.
C'était justement l'heure, où, bravant toutes lois,
L'impérieuse faim chassait le loup du bois ;
Notre Argus le savait ! ... Elle voit apparaître
La Souris... Bon, dit-elle, en riant cette fois
Dans sa barbe, à son âge, elle en avait peut-être : -
Viens, ma Mignonne, viens ; tu vas trouver ton maître !...
Vieux Satanas !... Puisse-t-elle mentir !
Car, on devrait se repentir
Du mal qu'on fait par nécessité même :
Ce n'est qu'une Souris, et pourtant, moi, je l'aime,
Quand je la vois courir à la mort ! Son Destin
Lui soit en aide !... Et d'abord, la Pauvrette
S'étonne, en trottinant , de trouver table nette
A l'endroit où, chaque matin,
Elle venait chercher son déjeuner. La Vieille
Avait tout balayé, pour rendre plus certain
L'appât du lard, dont le parfum réveille
Les sens de la Souris, qui met le nez au vent ;
Elle s'approche, afin de savourer l'évent,
Voit et flaire le lard au travers de la grille ;
Notre Souris était alors de ce côté :
Oh ! le bon goût ! fait-elle ; et la friande grille
D'embaumer son palais de cette volupté.
Mais, pour y parvenir, il fallait que la Belle
Tournât ou bien franchît la citadelle :
Elle prend le dernier parti ;
C'était le bon ! car la bascule,
Dont le bout, mal assujetti,
Au moindre choc sortit de sa capsule,
Retombe ; et la Trotte-menu,
S'effrayant au bruit de la trappe,
Fuit... Notre Virago, la voyant qui s'échappe,
En son dépit s'écrie : On serait mal venu
Ame vouloir donner les souris pour sorcières !
Est-ce donc pour les chats qu'on fit les souricières?
La voilà, semble-t-il , prête à dévorer tout ;
Je me fie à sa gourmandise ;
Enfin, dix pas de plus, ma donzelle était prise,
Et, voyez l'imbécile, elle manque son coup !
Je vous l'avais bien dit , vous venez de l'entendre :
L'esprit, en pareil cas, c'est de se laisser prendre !