Le Dindon et le Margoton Étienne Fumars (1743 - 1806)

S’allongeant sur un puits, trop charmé de s’y voir,
Un coq d’Inde se laissa choir.
Badauds d’accourir à la fête.
De sa vie il n’avait si bien porté sa tête ;
Sa double aile étendue, et droit comme un faucon
Qui pare le portail d’un seigneur du canton,
Il rendait de son mieux sa personne légère,
Tournait, pirouettait de plaisante manière,
Ne pouvant se résoudre à faire le plongeon.
Fixant le haut du puits, son œil en oraison
Frappait à tous les cœurs et ne cessait de dire :
Eh ! mon Dieu, dépêchez ; il n’est pas temps de rire !
Ceci n’est pas plaisant. Arrive Margoton,
Son bonnet déchiré, s’arrachant le chignon,
Hurlant, se lamentant, en pleurs, tout éperdue :
Quoi ! tu vas te noyer, mon’ fils, mon fils chéri !
C’est donc pour te voir là que je t’aurai nourri !
Pour sauver ce cher fils Margot fût descendue,
Si de prudents motifs ne l’eussent retenue.
En vain l’on remuait et la corde et le seau,
De peur de se noyer, son fils restait dans l’eau.
– C’en est donc fait de lui ! Dieu veut donc qu’il y meure !
Dieu le sauva pourtant ; ce n’était pas son heure.
Le seau juste sous lui par hasard se trouva ;
L’emboîta, le porta, sur l’onde l’éleva.
Tout doucement tiré de cet étroit asile,
N’osant ouvrir les yeux, jusqu’au haut il parvint,
Retenant son haleine, et si fort immobile
Qu’on aurait dit qu’il était peint.
Là finit le danger ; là finit la tendresse.
Dès que Margot le voit à terre et bien sauvé,
Margot devient une diablesse.
— Face de corbeau réprouvé !
Qu’allais-tu faire là ? Te mirer, toi, carcasse ?
Tu ne seras qu’un sot, quoi qu’on dise et qu’on fasse.
Ton trépas aujourd’hui serait, ma foi, réel,
Je te tordrais le cou, tant je suis en colère !….
Mais tu vaudras mieux à Noël,
Et Tranchelard alors te fera ton affaire.

Margot, n’est-ce pas nous ? Qu’un ami, qu’un parent.
Qu’un frère , un époux, un enfant,
Se soit rais en péril de ses biens, de sa vie,
On croit qu’il est perdu ; ce sont regrets sans fin ;
On pleure, on ne dort plus, soi-même l’on s’oublie ;
On tremble, on perd la tête, on maudit son destin.
Eh bien, qu’arrive-t-il après tout ce beau zèle ?
Gronde, reproche, humeur, querelle.
Que de maux ! quels chagrins ne nous a-t-il pas faits !
Les plaintes pleuvent comme grêle.
Nous avons presque, alors, regret de nos regrets.





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