Le Singe qui revient dans son pays Étienne Fumars (1743 - 1806)

Un singe échappé de sa chaîne
Tout droit chez les siens s’en alla.
— Ah, mon fils ! ah, mon frère ! ah, mon cher, te voilà !
Qu’as-tu fait ?… D’où viens-tu ? Quel bon vent te ramène ?
— La liberté.
( Ce singe auprès de nous ne s’était point gâté. )
Tout accourt, on l’entoure, on l’embrasse, on le presse.
Qui revient de loin intéresse.
Après qu’on l’eut baisé, fêté,
Tourné, retourné, ballotté,
Vint à son tour la curiosité,
Mère des questions, et sa famille entière :
Qu’as-tu vu ? quels climats, quels hommes, quelle terre,
Quelles coutumes ? quels….— Doucement, mes amis ;
Parlez l’un après l’autre ; un peu de patience :
Ou plutôt, s’il se peut, gardez tous le silence.
— Chut donc ! Asseyons-nous. Les voilà tous assis
Cul par terre. Guenons l’écoutent par avance.
— D’abord…. je ne vous dirai rien.
— Comment rien ? — Non , cet entretien
Serait trop long et trop pénible.
Regardez-moi. Pour vous rendre sensible
Ce que j’ai vu, je vais tacher de l’imiter. —
Gille aussitôt de danser, de chanter,
De gambader. — Il a perdu la tête !
Quel rire ! —Il ne rit plus ; c’est bien une autre fête :
Il crie, il pleure, il déchire son sein,
Grince des dents. Autre scène soudain ;
Aux pieds d’un jeune objet expliquant sa tendresse,
Il dévore des yeux sa bizarre maîtresse ;
Très galamment il lui donne la main,
Comme pour l’épouser ; puis devant l’assemblée
La rosse. Ce trait-là parut plaisant, dit-on :
Mainte guenon, depuis, fut ainsi régalée
Du bâton.
Gille prend des cailloux qu’il nomme ses guinées,
Les compte, les recompte, et les couve des yeux ;
Puis tout à coup les prenant à poignées,
Sans raison, au hasard, il les sème en tous lieux ;
Puis il fait l’insolent, lève une tête altière ;
Puis il rampe humblement et lèche la poussière.
Tout lui plaît, lui déplaît ; il prend, quitte, reprend.
Tous les goûts, tous les airs courent sur son visage ;
La peine y tient un peu, le plaisir un instant ;
L’ennui succède à tout et revient constamment.
Gille en fit encor davantage,
Et son savoir laissa les singes du pays
Ébahis.
– Que d’hommes tu connais !
Comment as-tu pu faire Pour en voir tant !
– Pas tant : par un maître sévère
À la chaîne toujours étroitement tenu,
Je n’en ai vu qu’un seul, encor l’ai-je peu vu.





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