Un singe échappé de sa chaîne
Tout droit chez les siens s’en alla.
— Ah, mon fils ! ah, mon frère ! ah, mon cher, te voilà !
Qu’as-tu fait ?… D’où viens-tu ? Quel bon vent te ramène ?
— La liberté.
(Ce singe auprès de nous ne s’était point gâté.)
Tout accourt, on l’entoure, on l’embrasse, on le presse.
Qui revient de loin intéresse.
Après qu’on l’eut baisé, fêté,
Tourné, retourné, ballotté,
Vint à son tour la curiosité,
Mère des questions, et sa famille entière :
Qu’as-tu vu ? quels climats, quels hommes, quelle terre,
Quelles coutumes ? quels….— Doucement, mes amis ;
Parlez l’un après l’autre ; un peu de patience :
Ou plutôt, s’il se peut, gardez tous le silence.
— Chut donc ! Asseyons-nous. Les voilà tous assis
Cul par terre. Guenons l’écoutent par avance.
— D’abord…. je ne vous dirai rien.
— Comment rien ? — Non, cet entretien
Serait trop long et trop pénible.
Regardez-moi. Pour vous rendre sensible
Ce que j’ai vu, je vais tacher de l’imiter. —
Gille aussitôt de danser, de chanter,
De gambader. — Il a perdu la tête !
Quel rire ! —Il ne rit plus ; c’est bien une autre fête :
Il crie, il pleure, il déchire son sein,
Grince des dents. Autre scène soudain ;
Aux pieds d’un jeune objet expliquant sa tendresse,
Il dévore des yeux sa bizarre maîtresse ;
Très galamment il lui donne la main,
Comme pour l’épouser ; puis devant l’assemblée
La rosse. Ce trait-là parut plaisant, dit-on :
Mainte guenon, depuis, fut ainsi régalée
Du bâton.
Gille prend des cailloux qu’il nomme ses guinées,
Les compte, les recompte, et les couve des yeux ;
Puis tout à coup les prenant à poignées,
Sans raison, au hasard, il les sème en tous lieux ;
Puis il fait l’insolent, lève une tête altière ;
Puis il rampe humblement et lèche la poussière.
Tout lui plaît, lui déplaît ; il prend, quitte, reprend.
Tous les goûts, tous les airs courent sur son visage ;
La peine y tient un peu, le plaisir un instant ;
L’ennui succède à tout et revient constamment.
Gille en fit encor davantage,
Et son savair laissa les singes du pays
Ébahis.
– Que d’hommes tu connais !
Comment as-tu pu faire Pour en voir tant !
– Pas tant : par un maître sévère
À la chaîne toujours étroitement tenu,
Je n’en ai vu qu’un seul, encor l’ai-je peu vu.