Le Loup voulant faire le Tabaski Fables Sénégalaises

C'est demain Tabaski, dit un Loup, vite en quête !
Je n'ai jamais fait cette fête,
Mais j'espère demain m'amuser comme un roi.
Je prétends qu'on parle de moi.
Je ferai dans quatre villages
En un jour quatre bons repas.
Notre Loup d'enlever quatre Moutons bien gras,
Honneur des plus beaux pâturages,
Et de les envoyer, de cotés différents,
A des amis, à des parents,
Dans quatre bourgades voisines.
A chacun il écrit Préparez le festin';
J'irai faire avec vous le Tabaski demain.
Le tam-tam des griots et leurs chansons badines
Devront me prévenir à l'heure du Tisbar
Du Mouton je prendrai ma part. »
Notre Loup ne rêva qu'à ses quatre cuisines;
Il se léchait la barbe et s'aiguisait la dent.
L'orgueil et la gloutonnerie
Dans leurs petits calculs se trompent bien souvent.
Le Tabaski venu, notre gourmand s'ennuie;
A jeun, pour mieux dîner, il écoute, il attend.

Au village de l'Est on commence le, chant,
Et le bruyant tam-tam au festin le convie
Pan, pan, rataplan, pan, pan,
Seigneur Loup, viens à la fête;
Pan, pan y rataplan, pan, pan,
Seigneur Loup, la table est prête.
Pan, pan, rataplan, pan, pan.
Le mangeur de Moutons vers ce côté s'avance
« Vite~ courons, dit-il, dépêchons ce repas;
J'en aurai trois ensuite. » Il n'a pas fait dix pas
Que du côté de l'Ouest la musique commence
Pan y pan, rataplan, pan, pan,
Seigneur Loup, y viens à la fête;
Pan, pan, etc., etc. »
Il rebrousse chemin vers cet autre volage;
Un nouveau chant au Nord l'arrête en son voyage
« Pan, pan, rataplan, pan, pan,
Seigneur Loup, etc.
C'est vers ce-dernier point qu'il résout de se rendre;
Mais aussitôt au Sud le chant se fait entendre
« Pan, pan, rataplan, pan, pan,
Seigneur Loup, viens à la fête;
Pan, pan, rataplan, pan, pan,
Seigneur Loup, la table est prête.
Pan, pan, rataplan, pan, pan. »
Son embarras redouble; il écoute, il s'arrête
Le pauvre diable en perd la tête.
Il voudrait à la fois suivre quatre chemins
Et dîner dans quatre villages.
Aller d'un seul côté, c'est perdre trois festins;
C'est faire, à ses dépens, rire tous les voisins!
Il court à droite, à gauche; il fait mille voyages
Et n'arrive jamais. Cependant les moutons
Sont dévorés sans lui. Déjà la nuit commence ;
Les repas sont finis et l'on entend la danse.
Honteux, le ventre creux, le Loup fuit ces cantons,
Hurlant la faim et la vengeance.

Depuis un tel échec fait à sa vanité,
De fêter Tabaski le Loup n'est plus tenté.

Fable 8


Notes de la fable 8

Le Tabaski une des fêtes des nègres mahométans ils la célèbrent le 10è jour de la lune de Tabaski la (la 12è). On peut dire que c'est leur pâque, car, ce jour-là, chaque chef de maison immole un mouton qui doit être sans défaut, et que l'on mange en famille. C'est l'occasion de festins et
'excès de toute espèce. On s'y prend à l'avance pour faire Tabaski; on invite ses amis; on étale, pour manger et pour se vêtir, tout le luxe dont on est capable; enfin pour mieux célébrer la fête, les demi-Musulmans ne manquent jamais de s'enivrer quand ils en trouvent l'occasion.

La vanité des nègres est extrême. Ils la font entrer jusque dans leurs plaisirs. Pour eux, c'est déjà s'amuser que de faire croire qu'ils s'amusent; c'est être heureux que de le paraître. On pourrait dire que leur vie est toute en dehors.

[Note personnelle : ceci est douloureux à lire, même replacé dans son contexte. Ce manque de respect pour la culture africaine et plus particulièrement sénégalaise rend assez floues les intentions de l'auteur en transmettant cette culture orale.]

Les Européens appellent tam-tam (en ouolof ndeun'de) le tambour, principal instrument de musique des nègres. Ce tambour est fait d'un gros morceau de bois creusé, n'ayant d'ouverture qu'a une extrémité, qui est recouverte d'une peau. On frappe dessus avec les doigts de la main gauche, en même temps qu'avec une baguette tenue de la main droite. Cette musique sourde et monotone électrise les nègres.

On appelle griots des. nègres qui font métier de chanter, de battre du tambour et de grimacer pour
amuser les autres. Ces espèces de baladins forment une classe tellement avilie qu'ils ne peuvent s'allier
qu'entre eux, et qu'on ne leur accorde pas la sépulture commune. Cependant ils vivent dans l'intimité des
grands et des riches qui les comblent de présents et de marques d'affection.

Tisbar est le nom d'une prière des Mahométans, que les dévots ne manquent pas de faire vers deux
heures. Les nègres, ne connaissant pas notre division de la journée en heures, désignent les principaux ins-
tans par le midi, par le lever et le coucher du soleil, et par les noms des prières qu'on doit faire à des époques fixes. Ils disent au Tisbar, comme on dit ailleurs : à l'Angélus.

Les Sénégalais ont adopté des sons dépourvus de sens, mais qui rendent très-bien leurs manières particulières de battre le tambour.


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