Un Roi, parmi ses passe-temps divers,
Voulut prendre celui de composer des vers.
Il n'était point sujet à cette fantaisie,
Et c'étaient les premiers qu'il eût fait de sa vie.
Il fit un Madrigal, faible et mince avorton,
Et que lui-même enfin ne trouvait pas trop bon.
Le Roi, qui de ses vers était en train de rire,
Voit un vieux Courtisan, l'appelle, et lui va dire :
Monsieur tel ! venez-ça ! Lisez-moi comme il faut
Ce petit Madrigal, que je trouve très sot.
Depuis qu'on fait que sans être Poète,
J'aime les vers, on m'en jette à la tête
De toutes les façons. Lisez ceux-ci. Jamais
Je n'en ai lu, pour moi, de plus mauvais.

Le vieux Courtisan lit, sans se douter du piège,
Hoche la tête. Hé bien ! dit le Roi, me trompé-je ?
Convenez- en, le Madrigal est plat,
Et l'Auteur de la Piece est sans doute un grand fat.

« On ne saurait vous contredire,
Vous en jugez admirablement, Sire :
Et voilà bien le plus sot Madrigal
Qu'il me soit arrivé de lire
Depuis que nos Rimeurs se mêlent d'en écrire ;
Et celui qui l'a fait : est un franc animal.
Oh bien ! lui dit le Roi, je suis tout ravi d'aise
Que vous m'aviez si bonnement
Sur ces vers-ci dit votre sentiment ;
Car, Monsieur, ne vous en déplaise,
J'en suis l'Auteur. - Ah ! Sire ! ah ! quel tour ! Un moment !
Je les ai lus trop brusquement ;
Rendez-les moi !-Non, non, il n'est pas nécessaire.
Le premier sentiment est toujours plus sincère
Que le second, et je m'y tiens. - Que faire ?
Notre vieux Courtisan, je crois,
S'en sera bien mordu les doigts.
Un Roi pourrait tirer de cette histoire
Cet enseignement capital,
Que pour savoir en bien, en mal,
Sur chaque objet ce qu'il doit croire,
Il serait bon en général
De cacher l'intérêt qu'il prend au Madrigal.-
« Quel Roi voudra jamais s'exposer au déboire
D'entendre ainsi de tristes vérités ? »
Aussi quels Rois jamais ont joui de la gloire
De n'être pas un peu gâtés ?

Fables et contes dédiés a Son Altesse Impériale Monseigneur le Grand Duc, Livre II, Fable 28




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