Un pauvre homme à demi-nu
Fut jeté par la tempête
Sur le rivage inconnu
D'une Isle de grandeur honnête,
Dont le Peuple était à la quête
De son Roi qui s'était perdu.
Or il arriva d'aventure
Que le pauvre homme, à demi-nu,
Ressemblant de corps, de figure
A ce Roi qui s'était perdu,
Fut pris pour lui. Le Peuple assure
Tout d'une voix, dès qu'il l'a vu,
Qu'en effet c'est le Roi lui-même.
Le bon homme est donc revêtu
De la pourpre, du diadème,
Et sans lui demander : veux-tu ?
Tous pour leur Roi l'ont reconnu.
D'une telle métamorphose
Il est certes fort étonné,
Ne fait comment prendre la chose ;
Finalement il se propose
De céder au fort fortuné,
Qui de son pauvre front dispose
Pour en faire un front couronné.
Voilà Guillot, fils de Guillaume,
Sans savoir comment ni pourquoi
Devenu Roi.
Ah çà ! voyons ! se dit notre homme :
Là, tout de bon, est-ce bien moi ?
Suis-je Guillot ? Oui, je le crois.
Mais d'où te vient donc ce Royaume ?
Du Hasard, qui t'en fait l'octroi.
Au fond, il n'est pas plus à toi
Qu'à Simeon, à Jean, à Jérôme :
Car il est à cet autre Roi,
Dont Guillaume n'est que le fantôme.
Faut donc prendre ici garde à soi.
Sans dire aux gens comme on te nomme,
Tâche avec eux d'agir en Roi.
Mais qu'il te souvienne, à par toi,
Guillot, de ton père Guillaume.
Ne vas pas croire sottement
Etre de ces gens le vrai maître ;
Garde-toi de te méconnaître,
St tu veux agir prudemment.
L'autre Roi reviendra peut-être.
Si tu n'étais qu'un garnement,
On te quitterait promptement
Pour le Roi plus digne de l'être.
D'après ce beau raisonnement,
Dom Guillot, qui n'était pas bête,
Gouverna d'abord sagement.
Mais l'orgueil vint troubler la fête ;
La flatterie incessamment
Au pauvre Roi tournait la tête,
Et Guillot se méconnut tant,
Qu'on vint enfin à le connaître.
On vous le chasse comme un traître,
Un aventurier, un manant,
Avant même que le vrai maître
Eût eu le temps de reparaître.
Il reparut. On fut content :
Et de ses torts se repentant,
Guillot lui-même eut lieu de l'être.