Le Cheval Jacques Peras (18è)

Il me souvient qu'un certain Bucéphale,
Tête droite, l'œil vif, bien caparaçonné,
Gaiement allait où Mars tale
Un peu d'honneur, toujours environné
De fatigues, de maux ; mais duquel il exhale
Beaucoup d'encens (C'est un peu plus que rien);
Enfin bref il fut à la Guerre.
Y fit-il mal, y fit-il bien ?
C'est- ce qui ne m'importe guère.
Don Coursier fort mal harnaché,
Sitôt la campagne finie,
Clopin clopant revint à l'écurie
Tête baissée et le dos écorché.
Comme il était hors de Service
Il eut maigre quartier d'hiver.
Il s'en plaignit, ii demanda justice,
Ce furent paroles en l'air.
Aux Palefreniers il présenta Requête,
A l'Intendant, à l'Ecuyer,
Tous gens de race malhonnête 3
Et non aisés à manier.
Que faire ! disait-il : ah ! que ma peine est grande !
Nul n'est sensible à mes discours.
Moi, qui fuis estropié, je ne vois que des sourds.
Celui que je portais saurait- il ma demande ?
Je ne veux que du foin le reste de mes jours,
Se peut-il qu'il me le refuse ?
Non, je voudrais le voir ; mais toujours on m'abuse,
Me disant que des siens il ne prend nul souci.
Le Maître vint, comme il parlait ainsi.
Ça, dit-il à ses gens, voyons mes équipages.
En quel état font mes chevaux ?
Ne manquent-ils point de fourrages ?
Sont-ils panses ? Où font les Maréchaux ?
Non content de parler, il voit, il examine.
Notre pauvre éclopé s'avance tant soit peu,
Hennit, son maître le devine,
Et commande à l'instant qu'on le change de lieu.
On le mer en bon pâturage ;
On le pense, on le choie, il a tout à souhait,

Même plus qu'il ne prétendait.
Heureux qui sert un Maître sage !

Livre II, fable 11




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