Grand Jupiter, Neptune, Eole,
Dieux secourables et puissants,
Disait la Voile, au ciel adressant la parole,
Daignez prêter l'oreille à mes plaintifs accents.
Naguère, en triomphante reine,
Je parcourais l'humide plaine ;
Le nautonnier soumis reconnaissait ma loi,
Et la vague indocile et vaine
Ne s'abaissait que devant moi.
Et maintenant, ò destinée !
A cette vile et sale cheminée,
Par je ne sais quels cœurs ingrats
Si follement imaginée,
Il faut que je cède le pas !
Fière de cette renommée
Que lui vaut un jour de faveur,
La perfide se rit de ma sage lenteur,
Et me lance en passant, d'un air dominateur,
Les flots de sa noire fumée,
Comme une insulte à ma blancheur.
Renversez dans la mer profonde
Ces tubes odieux, divins maîtres du monde ;
Par un décret, à l'empire de l'onde
Redonnez ses premières lois,
Et vengez l'honneur de ma toile.
Par un décret ! hé ! bonne Voile,
Il est passé ce beau temps d'autrefois ;
Et nos décrets, dans le siècle où nous sommes,
N'ont guère plus de pouvair chez les hommes
Que les Ordonnances des rois.
Nos dieux s'en vont, ouït-on souvent dire ;
Et que faire, sinon céder à ce délire ?
Aux jours d'erreur où nous vivons,
Jours d'étranges métamorphoses,
Jours en catastrophes féconds,
Ce n'est plus le Destin, c'est la FORCE DES CHOSES,
Qui nous fait fléchir sous sa loi.
A ton humeur impatiente
mpose donc un frein, et, pauvre suppliante,
Fais comme nous, résigne-toi.