Le Corbeau et le Renard Jean Condat (? - ?)

En Français

Tout près Balzat, dans un village,
Un sot corbeau vole un fromage,
Et puis, pour le manger,
Sur un grand peuplier va vite se poser.
— Sacré mille-mâtin ! ce serait bien dommage —
Se dit un vieux renard — que ce vilain oiseau
Mangeât à lui loul seul un si joli morceau.
Tu n'Ie mangeras pas, va, ma vilaine bêle,
Je le jure sur ma tôle.
Je vais le dégoiser un discours si flatteur,
Qu'il louchera Ion coeur;
De ton vilain portrait, ferai si belle image,
Que d'ton bec dans ma gueul' passera ton fromage.
Attends !
Au pied d' ton peuplier tout d'suite je me rends
— « Oh ! le joli plumage! Oh! quelle belle hôte!
» Aujourd'hui serait-il un jour de grande fêle?
» Ohé, mon bel oiseau, que l'ais-lu donc là-sus?
» Ah! liens! c'est loi, Corbeau? Je n'te r'connaissais plus
» Sandié-gars! mon ami, Turluron, Turlurette!
» Quand tu mets la toilette,
» Tu ne fais pas semblant!
» Tu chausses ton habit tout le plus reluisant!
» T'es joli, sapristi, comme un' petite Amoure!
» Dans tout Balzat, on ne voit point avoure,
» De plus bel oiseau que toi,
» Ma foi ! »
Après ce beau discours, notre imbécile groûle
Se gonfle et s'arrondit, comme une noire boule.
En ouvrant son gros bec.
Son fromage tomba.
Le renard, lestement, sautant, d'sus, l'avala.
— « Hein! fiston! lui dit-il, à c't'heur' fais donc le crâne !
» Tu le vois bien, mon cher, tu n'es point qu'un' couemne !
» Toi, qui l'crois si malin,
» Rappelle-loi donc bien
» Ce que je vais le dire,
» Afin qu'il ne l'arrivé autre chose de pire :
» Devant un beau discours (français, latin ou grec),
» Au lieu d'ouvrir la gueule, il faut serrer le bec. »
Le corbeau, capot, dit : — « Je ne suis qu'une buse;
— » Tu l'en aperçois, cher, conviens-en, un peu tard!
— » Une autre fois, de fa ruse,
» Je nie méfirai mieux, o trop flatteur renard;
» Je me rappellerai (cela ne fait pas doute,
» La Fontaine ne 1' dit-il pas?) :
» Que le renard qui Halle empoche un bon repas
» Aux dépens du corbeau qui, comme un sot, l'écoute.
» Bien sur, qu'une autre fois, je n's'rai pas si nigaud :
» T'aurais beau m'appeler : Ami, maître corbeau,
» Dire que j' suis joli, que mon plumage est. beau,
v Je n'écouterai point ton pernicieux langage,
» El moi-même, tout seul, mangerai mon fromage. »
Le renard, entendant, cela,
Lui dit: — « lia! Ha!
» Nous verrons ça !
» A ton prochain larcin, lu prendras la revanche,
» Et je le dis : Bonsoir ;
» En attendant, morveux, s'il te manque un mouchoir,
» Mouche-loi sur ta manche !... »


En Parois charentais

Dans n’in village,
In’ groûle volit in froumage,
Et sus in grand ourmeau s’en allit se pougé
Peur le mangé
— Cré mâtin ! serait ben demage, —
Pensit in vieux renard, —. que tieu vilain ozeau
Mangisse à l’y tout seul in si joli mourceau.
Tu le mangeras pas, va, ma vilaine bête,
Z’ou jure sûs ma tête.
Je va te dégoësér in discours ben fliateur
Qui touchera ton kieur.
De ton vilain poltrait, ferai si belle image
Que d’ton bet dans ma goul’ passera tou froumage.
Attends !
Au pied de toun’ ourmeau, tout d ‘suite je me rends :
« — Oh ! le joli piumage ? Oh ! la jolie p’tite bête !
» Serait-ou donc aneut in jour de grande fête ?
» Ohé! jo1i-t-ozeau, que fai-tu donc là-sus ?
» Ah! tès ! C’est toé courbeau ? je te couneussis pûs !
» Sandié-gârs, moun’ ami, Turluron, Turlurette !
» Quand tu fai ta toélette,
» Tu ne fai pas sembliant !
» Tu chausses toun’habit tout le pûs teurleuzant !
» Tès joli, sacredié, counV in’ petite amoure !
» Dans tout Balzat n’y a point avoure
» De pus bel ozeau que toé,
» Ma foé ! »
Après tieu beau discours, tielle imbécile groûle
De glloire se gonfflit,
S’arrondissit
Quem’ine boule
Et, ve z’ou pensé-ben, son froumage chéyit.
Le renard sautit d’sùs, l’avalit
Et dissit :
« — Hein ! Fiston ! Avour’ fai donc le crâne !
» Tu z’ou voé-ben, mon cher, tu n’es point qu’ine couâne !
» Toé qui t’ crés si malin
» Rappelle toé donc bein
corbeau-renard-contes-balzatois-jean-condat
» Ça que je va te dire,
» Peur qu’o t’arrive pas qu’ôqu’chouse de pûs pire :
» Quand j’t’f’rai z’in discours (Français, Latin ou Grec),
» Au lieu d’uvri la goul’, faudra sarré le bec.
» Le Courbeau, capot, dit :
« Je ne seux qu’ine bûse,
» Mais je z’ou voé trop tard ;
» Ine autre foé, d’ ta ruse
» Je me minfirai mieux, o trop flatteur renard.
» Je me rappellerai (peur ça n’y a pas de doute,
» La Fontaine n’ou dit-y pas) ?
» Que le Renard qui flatte, y fait le bon repas
» Aux dépens du Courbeau, qui, comme in sot, l’écoute.
» In’ autre cot, serai pas si nigaud :
» T’aris beau m’appeler : ami, Maître Courbeau,
» Dire que j’ seux joli, que mon plumage est beau,
» Je n’écouterai point ton parnicioux lingage,
» Et moi-même, tout seul, mangerai mon froumage. »
Le Renard entendant celà Dissit :
« Ha ! Ha !
» Je vouérons ça !
» A ton prochain larcin, tu prendras ta revanche,
» Et je te dis bonsouér.
» En attendant, morchoux, si t’as pas de mouchouér,
» Mouche-toé sûs ta manche. »





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