Iris et le Papillon Jean-François Guichard (1731 - 1811)

Loin de la ville dépravée
Iris, dans le bon air des champs,
Tout les yeux de sa mère avec soin élevée,
Comptait déjà le treizième printemps :
Elle ignorait (ignorance bien chère)
Et le brelan et la fureur de plaire.

Un des beaux jours d'été, voilà, de grand matin,
Voilà mon innocente fille,
Et joli négligé, toute seule, au jardin.
Elle folâtre, elle sautille,
Va d'une allée à l'autre, est auprès du ruisseau,
L'écoute murmurer, suit son cours qui l'entraîne,
Prend un caillou, l'y jette, en l'air jaillir l'eau.
À côté mille fleurs, ornement de la scène,
Baisaient ses pas et la portaient ;
Le ciel était d'azur : tous les oiseaux chantaient ;
Heureux oiseaux ! plus heureuse que belle !
Rien ne troublait son cœur, qu'elle sentait léger ;
Et la nature, aussi joyeuse qu'elle,
Y versait un plaisir qui nous est étranger.

Un charmant papillon faisait, selon l'usage,
De ses frêles trésors le mobile étalage.
Par chaque fleur l'inconstant attiré,
Promenant sa flamme banale,
De ses ailes, par intervalle,
Déployait le duvet doré.
Il descendait jusqu'à la violette,
Il visitait la plus simple fleurette,
Suçait la rose, après le lis,
L'anémone, l'œillet, la jonquille... Mon drôle
De chacune des fleurs fait mine d'être pris,
Dérobe un baiser, et s'envole.

L'aimable enfant le voit, en connaît le désir.
Ah ! comme richement son aile est marquetée !
Si je pouvais le prendre ! Elle en est enchantée,
Elle brûle de le tenir.
Le cœur lui bat ; son front, que se colore
De l'émotion de son sein,
Annonce un amour près d'éclore,
L'amour de la parure... Enfin,
Le dirai-je ? La femme est sur le point de naître.
Tout à travers parterres et bosquets
Elle poursuit l'insecte petit-maître :
Oiseaux, fleurs et ruisseaux, vous n'avez plus d'attraits.

Tant que du dieu du jour la chaleur pénétrante
Du fugitif presse la course errante,
On fait out pour l'avoir...
On y touche... il est loin. On n'avait plus d'espoir ;
Mais vers l'heure où Zéphyr, entré dans les bocages,
En les rafraîchissant agite les feuillages,
Énervé, las enfin, sire papillon prit
Une tulipe pour son lit.
Iris légèrement s'avance et le saisit.
Dans le creux de sa main, captif, il se démène.
Pour s'échapper de sa prison
Il ruse, il fait le mort. Toute finesse est vaine ;
Plus de ressource. Il prie, il a raison ;
La prière souvent désarme une inhumaine.

« Grâce ! Grâce ! La liberté !
De mon douloureux esclavage
Voyez pour vous le peu d'utilité :
Un frivole clinquant est mon seul avantage :
Oisif et vagabond, quel honneur ou que bien
Puis-je vous procurer ? Je ne suis bon à rien.
À cette campagne fleurie
Rendez-moi, je vous en supplie. »
De sa prière on eut le cœur touché,
Et le prisonnier fut lâché.
Lui sur les doigts mignons de sa libératrice
Délicatement se percha,
Puis en ces termes la prêcha :
« Ton âme encor pure et novice
Conserve un repos enfantin ;
Ton visage naïf, serin,
Ne montre orgueil, prétention, ni vice :
Mais lorsque tu sauras, et ce temps est prochain,
Le dangeueux secret du monde et de toi-même ;
Que tu composeras tes regards, tes discours ;
Que, pour entendre un "Je vous aime",
En une heure vingt fois tu changeras d'atours ;
Que, pour faire briller une gorge naissante,
À propos tu respireras ;
Que, pour rendre en un mot ta beauté plus puissante,
Son favorable jour tu le rechercheras :
Autour de toi, couvert d'or et de broderie,
Un être voltigeant viendra te faire envie ;
Et si contre ton goût ne combat ta raison,
Qu'auras-tu pris ?... Un papillon. »

Livre IV, fable 10




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