Les Abeilles et le Crapaud Jean-Hubert Hubin (1764 - 1833)

Dans les jardins d'un curieux
Un crapaud malfaisant parvint à s'introduire.
En rampant, comme on sait, on arrive en tous lieux.
Dans ces enclos délicieux
Flore et Pomone ont tout fait pour séduire
L'odorat, le goût et les yeux.
Mais point d'Éden pour qui se plaît à nuire.
Le méchant ne peut être heureux.
Notre rampante créature,
Près d'un ruisseau qui sourdement murmure,
Aperçoit une ruche, et soudain le courroux
Se peint dans ses regards jaloux.
Car ces diligentes abeilles,
Dont Réaumur conte tant de merveilles,
Goûtaient en paix le destin le plus doux.
I! se recueille et dit : « Chez ce peuple fidelle
« Essayons de souffler la discorde rebelle.
« Du Nord et du Midi brouillons les habitants.
« Aujourd'hui la bonne tactique
« Est de faire des mécontents.
« C'est ainsi qu'on renverse empire et république. »
Sur ce l'orateur des marais Pérore en sombre politique,
Transforme en abus les bienfaits,
De la vertu raille d'un ton caustique,
Élève des autels aux vices, aux forfaits,
Et vante les douceurs du régime anarchique.
A ce discours digne dé Lucifer,
Les nourrices de Jupiter
De leurs dards acérés voulaient percer le traître,
Cet ennemi des dieux et des mortels.
« Arrêtez, dit leur reine ; il est bon de connaître
Les desseins des méchants et leurs vœux criminels.
Laissons-les se bercer d'une vaine espérance,
Tandis que Némésis les observe en silence.
Pour nous, sages et bonnes sœurs,
Conservons notre caractère,
Nos habitudes et nos mœurs.
Travaillons, jouissons, butinons sur les fleurs,
Et remplissons en paix nos destins sur la terre. »





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