L'Abeille et le Frelon Jean-Jacques Boisard (1744 - 1833)

L'Abeille dans les champs rencontra le Frelon :
Gros cafard, lui dit elle, as-tu la panse pleine ?
As-tu bien goulument ravagé ton chardon ?
Va dormir maintenant, va t'en reprendre haleine ;
Car tu ne prendrais pas la peine
De mettre en magasin ton miel délicieux ;
On pourrait l'enlèver pour la bouche des Dieux ;
C'est bien assez pour toi de lester ta bedaine.
Le Frelon repartit : je fais que ton trésor
Est un peu plus tentant ; mais c'est pour ta ruine.
Gare l'Hiver et la famine,
Gare l'esclavage ou la mort.
C'est moi qui te le dis, sans être politique ;
Tu ne jouiras pas du fruit de tes travaux.
La richesse a perdu mainte autre République.
Pour nous, nous n'allons point et par monts et par vaux,
Butiner, entasser, pour exciter peut-être
Quelque jour l'appétit d'un maître ;
À peine amassons-nous pour les besoins urgents
Nous grugeons chaque jour le reste à belles dents.
Aussi savons nous bien faire un repas champêtre
Et frugal ; nous vivons moins délicatement ;
Mais nous vivons plus sûrement.
On n'a point d'intérêt d'éventer notre serre.
Eh ! que gagnerait-on à troubler les Frelons ?
Crois-moi, de bons coups d'éguillons,
Rien de plus ; ce butin ne payerait pas la guerre :
Apprends de nous que Pauvreté
Est la mère de Liberté.

Livre III, fable 18




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