Ne cède aisément au désir
Qui t entraîne vers le plaisir:
Si ne sais à propos le fuir,
Maints dangers il faudra courir.

De certaine carpe je veux
Vous conter encor l’aventure,
Et de la sotte créature
Vous apprendre quel fut le destin malheureux
Une jeune carpe en eau claire
Aimait à prendre ses ébats :
« Prends garde, lui disait sa mère,
Et crains de dangereux appâts :
Cette onde où tu te plais est par trop transparente,
T’y jouer si souvent n’est pas chose prudente,
Car si dans ces lieux, par malheur,
Survenait quelque pêcheur,
Mal t’adviendrait de sa venue,
Tu ne pourrais, ma fille, échapper à sa vue.
Bast, bast, disait la carpe en redoublant ses bonds,
Peur de vieille et chansons
Que cela ! la vieillesse est parfois radoteuse.
Nager, dans son onde bourbeuse,
Serait vraiment un beau plaisir,
Tandis qu’en cet endroit j’en prends tout à loisir !
Quelque sotte ! à cette eau si claire et si limpide,
Moi, j’irai préférer une vase-fétide ?
Et ne dirait-on pas encor, que tout exprès
Messers pêcheurs ici s’en vont venir me tendre
Leurs perfides et vains filets ?
Bien fin d’ailleurs qui saurait me surprendre.
Des pièges je me ris…..Mais qu’aperçois-je là ? »
C’était un ver flottant sur l’onde pure :
Bon, dit-elle, voici, je crois, de la pâture ;
Sans crainte on peut happer toujours cela,
En attendant que le pêcheur arrive. »
Celui-ci cependant la guettait de la rive ;
Il jette son filet, et dedans la voilà.
Le lendemain, jour d’abstinence,
Elle fit les honneurs d’un modeste repas :
Et ce triste destin, hélas !
Punit sa désobéissance.

Fables nouvelles en vers, à l'usage de l'enfance, 1837




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