L'Enfant et la Vessie L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

L'Homme nourrit en soi des désirs immortels,
Que les biens d'ici bas ne sauraient satisfaire,
C'est le défaut des Grands, c'est celui du Vulgaire ;
En un mot de tous les mortels,
Sans même en excepter ceux qui sont dans l'enfance :
D'un exemple je vais prouver ce que j'avance.
Un Enfant de six ou sept ans
Avait fait quelque part l'acquêt d'une vessie,
Il n'aurait voulu pour sa vie
Se priver du doux passe-temps
Qu'il se flattait d'avoir, lors que de vent enflée
Il l'aurait en grosseur à son corps égalée.
Pour réoffrir dans ce dessein ,
11 fit tous les efforts qui se font d'ordinaire
Tant du souffle que de la main ,
Sans que tous ces efforts pussent le satisfaire.
Mais cette impossibilité,
Ne faisait qu'augmenter son opiniâtreté,
Hélas, lui disait la Vessie,
Je n'en puis plus, je crève et c'est fait de ma vie,
Il est temps de vous modérer ;
Car vous ne devez plus de moi rien espérer.
Un homme sage aurait écouté cette plainte,
Mais notre jeune fou, sourd à tous ces propos,
Crût que ce n'était là qu'un effet de sa crainte.
Là- dessus il s'en frappe et la tête et le dos
Se flattant que le cuir s'étendrait davantage :
Mais presque dans le même instant
Il fut récompensé de tout son bel ouvrage,
Par un bruit prompt et violent
Que fic la vessie en crevant.

Que l'on voit de Rois et de Princes,
Qui sont à cet égard semblables aux enfants !
Et qui de leurs états, n'étant jamais contents,
Y voudraient ajouter provinces sur provinces ;
Mais qu'en arrive-t-il ? C'est que le plus souvent
Ils font récompensés tout ainsi que l'Enfant.
Aujourd'hui plus d'un Prince, en France,
En fait la triste expérience.

Livre II, fable 7


Une Vessie est ici un ballon en cuir, comme un ballon de football.

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