Le Renard et l’Ours Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Un renard qui, je pense, avait eu bonne école,
Trouvant une perdrix prise dans un collet,
Se dit :

 — C’est bien à moi ; le chasseur me la vole
Comme je vole aussi quand je croque un poulet ;
Je l’emporte.

 Il la prit. Alors un ours morose,
Jaloux du bon morceau, lui barra le chemin.
Le renard salua son terrible voisin
Et voulut s’échapper.

 — Il me faut autre chose,
 Lui dit le vieux grognard.

— Vous faut-il deux saluts ? demande le renard
 Avec une peur mal cachée.

— Il me faut la perdrix.

 — Ce n’est qu’une bouchée,
Mais, bah ! partageons-la. Je voudrais faire plus…

— Je veux tout ; ne fais pas de discours superflus ;
Et quand j’aurai croqué cette bête emplumée,
 Foi d’ours canadien !
 Si ma faim n’est pas calmée
 Je te croquerai bien.

— Tu n’auras rien, brigand, c’est moi qui te l’assure,
Réplique le renard à son vieux souverain.
Et, d’un bond, il recule au bord d’une fissure
Qu’il vient d’apercevoir au milieu du terrain.

 — Comment, maraud, tu me jettes l’insulte
À moi le roi des bois ? dit l’ours tout irrité ;
Tu connaîtras bientôt la peine qui résulte
 D’une telle témérité.

— Viens donc, ô roi des bois, je t’attends, et sans crainte :
 Je suis solide comme un roc.

 L’ours s’élança. Pour éviter le choc,
 Le renard, dont la bravoure était feinte,
Fit un saut de côté. L’ours tomba lourdement
 Dans l’ouverture béante
 En poussant un gémissement,
Et le renard reprit d’une voix obligeante :

— Quand vous serez sorti n’oubliez pas, seigneur,
 De venir me voir tout de suite ;
 Vous me ferez beaucoup d’honneur
 Et la perdrix sera bien cuite.

On ne saurait avoir tort
 De demander à la ruse
Ce que la force nous refuse
Quand le méchant est le plus fort.

Livre I, fable 11




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