Sur les airées
De gerbes dorées
Les fléaux, tour à tour,
Tombaient depuis le point du jour,
Et, sous les épis vides,
Les blés de toutes parts
Étaient épars ;
Mais les graines perfides
Bien trop abondamment
Se mêlaient au froment.
Selon son ordinaire,
Pour vanner le grain,
Le vanneur s’avance dans l’aire
Le front serein ;
Il met dans le van et le crible
Ivraie et luzerne et blé mûr,
Agite tout de son bras sûr,
Rejette la graine nuisible,
Verse le blé dans le boisseau,
Et puis commence de nouveau.
Alors il est témoin d’une drôle de chose :
Le blé qu’il veut nettoyer ose
Contre lui s’emporter
Et dans ces termes l’insulter :
— Fais cesser mon supplice,
Misérable tyran !
N’agite plus ce van
Qui devient ton complice.
— Grand Dieu ! dit le vanneur, ai-je bien entendu ?
Mais vois donc quelle est ta démence :
Avec la mauvaise semence,
Si tu n’es pas vanné, tu seras confondu.
— Et que m’importe ?
— Puisque tu parles de la sorte
Va de l’ordure augmenter les monceaux :
Tu serviras d’aliment aux pourceaux ;
Mais le blé que j’épure
Et qui souffre humblement
L’épreuve du moment
Sera ma nourriture.
Qui ne sait pas vanner son cœur
Se marque d’un sceau de malheur.