Deux chiens aux pieds du même maître
Coulaient paisiblement leurs jours :
Tous deux ne paraissaient connaître
Que les plaisirs et les amours.
On les voyait courir au milieu de la plaine
À perdre haleine ;
Fatigués d’aboyer,
Ils s’en venaient dormir tous les deux au foyer
Sous le même rayon de flamme,
Laissant en rêve aller leur âme
Dans cette étrange région
Où volent les âmes des bêtes.
Chaque jour ils dînaient comme on dîne aux grand’fêtes,
Chose, hélas ! qu’une légion
De leurs pareils ne pouvait faire.
On parlait d’eux partout. En effet comment taire
Tant de si belles qualités ?
Ils se voyaient cités,
Ces caniches fidèles,
Comme de beaux modèles.
Grande fut donc un jour l’horreur
Parmi toute la gent canine,
Quand on apprit que, saisis de fureur
Et la haine dans la poitrine,
Les deux amis ardents,
Se déchiraient à belles dents.
Cependant la raison de cette âpre querelle
Parut à la plupart tout à fait naturelle :
Le cuisinier, mal à propos,
Aux deux chiens, ce soir-là, n’avait jeté qu’un os.
Que d’hommes tu déniches
À chaque pas
Qui ressemblent à ces caniches !
Ils ont de la vertu, mais ne les tente pas.