Les deux Chiens Léon Riffard (1829 - ?)

Guillot avait deux chiens, également fidèles :
Bon pied, bon œil ; des crocs surtout,
À découdre au besoin les entrailles d'un loup !
L'un tout blanc, l'autre noir; enfin deux vrais modèles.
Mais Guillot préférait le chien blanc au chien noir.
Il était facile de voir
Quelle était pour lui sa faiblesse :
Toujours mainte faveur, toujours mainte caresse.
Sans cesse il l'appelait à ses côtés. Le soir
Lorsqu'au milieu des champs il arrêtait sa marche,
Parquant avec soin son troupeau,
Le plus loin des forêts et le plus près de l'eau,
Et qu'en son lit roulant qu'il traînait comme une arche
Il se retirait pour dormir,
Aussitôt Blanquet d'accourir,
Et de se faufiler sous le manteau de bure
Qui tenait lieu de draps comme de couverture.
Quel charmant compagnon ! Lui, c'était un plaisir!
Et pendant ce temps-là, chargé seul de la veille,
Le pauvre Noiraud bravement,
Montait la garde autour du camp.
Et ne dormait le plus souvent
Que d'un oeil et que d'une oreille.
Content d'ailleurs, ne se plaignant de rien,
Incapable de jalousie,
Il faisait tous les jours, sans dire : quelle vie !
Son honnête métier de chien '.
L'autre, gâté par le bien-être,
Et par les faiblesses du maître,
Dégénérait. Mais voilà qu'un beau soir,
- Fort laid d'ailleurs : gros vent, ciel noir ! -
Une tempête foudroyante,
Dont les lueurs vibraient parmi des trombes d'eau,
Menace de noyer le malheureux troupeau
Et d'emporter la cabane roulante,
Où Guillot et Blanquet dormaient profondément
Tranquilles, au milieu de ce déchaînement.
Tout à coup, dans les intervalles
Des coups de pluie et des rafales,
On entend un long hurlement,
Puis mille autres. C'étaient les loups du voisinage
Qui, favorisés par l'orage,
Venaient rôder autour du campement.
Un cercle d'yeux, luisant comme une braise vive,
S'allume, se resserre. Et déjà, pour l'assaut,
Se dressaient sur leurs pieds les plus hardis. Noiraud
Partout présent, partout sur le qui-vive,
Farouche, colossal, gronde, grince des dents
Et tient en échec les brigands.
Tel Kléber enfermé dans les murs de Mayence
Faisait tête aux soldats de la Sainte-Alliance !
Pourtant chaque minute augmentait le danger.
Les loups pouvaient d'un bond franchir la palissade.
Noiraud le sentait bien, mais pas un camarade
Pour aller avertir l'insouciant berger.
11 aboie, il aboie, et d'une voie puissante.
Guillot
Arrive enfin muni d'un énorme falot
Dont la lumière éblouissante
Met en fuite les assaillants.
Il était temps !
L'un d'eux venait de sauter dans la place;
Noiraud, châtiant son audace,
L'étrangle net, et d'un seul coup;
Mais le héros était à bout.

Et Blanquet, direz-vous ? - Blanquet dans la cabine
Ronflait de son mieux, j'imagine.
- Au lieu de secourir son brave compagnon?...
Comment, dans ce moment terrible,
Il dormait ! Ce n'est pas possible.
- Je crois que vous avez raison,
Blanquet ne dormait pas peut-être ;
Il avait bien dû voir le maître
Se lever, allumer sa lanterne et courir...
Non, il ne dormait pas : il feignait de dormir.

Maître en l'art d'amuser, de charmer la jeunesse,
En lui haussant le cœur,
Inventeur abondant, ingénieux conteur
De tant de frais récits, parfumés de sagesse,
Grand merci de l'accueil que tu fais à mes vers.
Merci de ta bonne parole.
Mais tu n'as donc pas craint, avec cette hyperbole,
De me mettre l'esprit et la tête à l'envers ?
Des chefs-d'oeuvre, hélas non ! Le mot est bénévole.
Mais combien trop flatteur !
Manière de parler, évidemment. Mon cœur
A deviné le tien, - laissons la gloriole -
Celui qui m'adressa cet éloge si doux,
Ce n'est pas le lettré, le critique, - entre nous -
C'est le camarade d'école.
Peut-être aussi que ce qui t'a plu dans mes vers,
C'est qu'ils ne vont pas sans morale.
Toujours bien simple, bien banale,
Bonne d'autant. - Mes héros sont divers :
L'un parfait, l'autre nul. - Pourtant je m'imagine
Qu'ils étaient à peu près pareils à l'origine :
Affaire d'habitude et non de discipline.

Livre II, Fable 4




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