Babé et Ninon Léon Riffard (1829 - ?)

Le soir, qui tombe, met un terme
Au travail de la fenaison.
Babé, la servante de ferme,
Déjà rentrée à la maison
Ouvre sa croisée et se penche
Parmi les Goboeas et les pois de senteur.
Dans la verdure, toute en fleur,
S'encadre sa cornette blanche.
Dans la gare, qui n'est pas loin,
Sifflant, soufflant, et traînant à l'arrière
Un long tourbillon de poussière, -
Entre l'express. Ninon, qui voyage en première,'
Mollement blottie en un coin,
Vient s'accouder à la portière.
- Tiens, le village ! Tiens, Babé !
C'est bien elle; c'est ma voisine.
Ensemble, quand j'étais bébé,
Nous goûtions chez tante Frosine.
Que ne suis-je restée ici,
Simple ! Tout simplement heureuse !
Tandis que plus d'un noir souci
Trouble ma course aventureuse.
Les bouquets, les vers, les bravos !...
De tout-cela que je suis lasse :
Paroles de feu, cœurs de glace !
Comme je donnerais hôtels, bijoux, chevaux
Pour retrouver ici ma place !...

Et Babé, qui ne pouvait pas
Reconnaître la grande dame,
L'admirait, troublée en son âme,
Ecarquillant les yeux, et murmurait tout bas :
- Qu'elle est belle, et qu'elle a de chance !
C'est le train de Paris : elle y sera ce soir.
Ville de joie et d'opulence,
O Paris, de jamais te voir ;
Je n'ai pas même l'espérance !...

Et la pauvre Ninon, que l'express emportait,
Ne pouvait détacher les yeux de son village.
Et la pauvre Babé, que le Diable, tentait,
Rêveuse, sans souci du temps., ni du ménage
Suivait à l'horizon le lumineux sillage
Que le train, dans la nuit, laissait sur son passage.

Livre II, Fable 5




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