Le Cheval et l'Olivier Léon Riffard (1829 - ?)

Le Dieu des mers, Neptune, Athéné, la Sagesse,
Se disputaient un jour au beau pays de Grèce.
Qui des deux de son nom devait gratifier,
La ville que Cécrops faisait édifier :
Voilà l'objet de la querelle.
Pour suivre le débat d'une cause si belle,
Tous les Dieux,
Convoqués par le roi des Cieux,
Etaient revenus de voyage :
Le tribunal siégeait sur un nuage.
Cécrops et ses colons, suspendant leurs travaux,
Dans le fond, les marins, debout sur leurs vaisseaux,
Composaient le public de cet aréopage.
Invité par le président
A faire connaître ses titres,
Sous les yeux des juges-arbitres,
Neptune lève le trident
Que lui donna jadis son frère,
Et, d'un grand coup frappant la terre,
Fait jaillir de son sein un nouvel animal,
Le cheval !
Superbe échantillon d'un divin savair-faire.
A son aspect la joie et l'admiration
Provoquèrent sur le rivage
Une longue acclamation.
Les Dieux mêmes, les Dieux, du haut de leur nuage,
- Se levèrent pour applaudir.
Neptune tenait la victoire.
A lui l'honneur, à lui la gloire,
De nommer les remparts que l'on voyait surgir !
C'est alors qu'Athéné, d'une main vigoureuse,
Lance son javelot.
L'arme siffle ! au-dessus de la foule anxieuse
Trace une courbe lumineuse,
Et sur un roc, tout près du flot,
S'en va tomber debout, frémissante et joyeuse.
On s'écrie, on accourt ; soudain, à l'horizon,
Le javelot, devenu tige,
O Prodige !
Se couvre d'une belle et claire floraison.
Les feuilles sont d'argent, petites. Sur les branches
Les fruits noirs, à foison, se mêlent aux fleurs blanches
Et la brise, en baisant cet arbre sans égal,
Fait trembler au soleil un reflet de métal.
C'est l'olivier sacré, c'est l'olivier classique,
Qui sera l'honneur de l'Attique.
Le peuple est ravi, transporté !
Ici, c'est le cheval, dans sa fière beauté,
Qui piafse et qui hennit, secouant sa crinière.
Là-bas, c'est l'olivier au feuillage argenté,
Qui, par le vent de mer, doucement agité,
Triomphe et rit dans la lumière.
Les uns crient : Vive Pallas !
Et les autres : Vive Neptune !
On va se partager en deux camps. Mais hélas !
Voici bien une autre fortune.
Sur le dos du noble animal
S'élance un jeune téméraire ;
Désarçonné d'un bond, sanglant et mis à mal
Il va rouler dans la poussière.
Sur la colline, autour de l'olivier divin,
On danse en se donnant la main.
Mais un enfant a mis un fruit noir dans sa bouche.
Soudain il pousse un cri farouche,
Disant : je suis empoisonné !
Un mouvement désordonné
Va se produire dans la foule,
Ondoyante comme la houle,
Quand tout à coup brille l'éclair.
Un coup de foudre ébranle l'air !
C'est le seigneur Jupin qui branle sa sonnette.
Le peuple qui du ciel redoute le courroux,
Pénétré d'une horreur muette,
Se prosterne et tombe à genoux,
Alors, au milieu du silence
Descend sur lui cette sentence :
Vu l'arbre merveilleux créé par Athéné,
La ville de Cécrops prendra le nom d'Athènes.
Athéniens, l'arbre qui vous est né
Couronnera bientôt les collines prochaines.
Sachez tirer parti de ce présent divin.
Si les dieux le voulaient, au travers de vos plaines,
Couleraient des ruisseaux de lait, d'huile et de vin,
Mais il faut mériter nos bontés par vos peines !
Telle est la volonté du sacré tribunal.
Quant à ce splendide animal
Dont Neptune a doté la terre,
Vous lé maîtriserez par votre art, je l'espère.
Aussi n'est-ce point par mépris
Que nous lui refusons le prix.
S'il devait fournir sa carrière
A creuser des sillons, à transporter des faix,
Peut-être que sa place eût été la première.
Mais ses naseaux soufflent la guerre,
Tandis que l'olivier est un signe de paix !
Depuis les temps mythologiques
Dont j'ai mis sous vos yeux un trop faible crayon,
L'homme, en dehors des grands combats épiques,
Ne cesse de chercher les résultats pratiques
Que le besoin de vivre, aidé de la raison,
Trouve, au prix d'efforts héroïques.
C'est ainsi que le feu, le sel, l'huile, le pain,
Et le vin
Facilitant, enrichissant la vie,
Valurent à leurs inventeurs
Une gloire sans tache, à l'abri de l'envie,
Temples, autels, enfin tous les honneurs !
Mais dis-moi, Muse, je t'en prie,
Quels sont les continuateurs
De ces antiques bienfaiteurs
Pour qui jadis, à bout d'hommages,
Tu bâtis des palais au-dessus des nuages ?
Tous ceux qui, comme vous, par un constant effort.
Voulant du genre humain accroître le confort,
A l'ancien idéal classique
Joignent un idéal nouveau
Plus utile, sinon plus beau,
Que nous nommons économique !
Et vous ne vous contentez pas
De propager, quoi qu'on en die,
Du travail, du progrès, du bien-être ici-bas,
La véritable théorie.
Vous produisez, ce qui vaut mieux,
Et vous savez, prince de l'industrie,
Asseyant les humains à la table des dieux,
Pour de simples mortels fabriquer l'ambroisie !

Livre II, Fable 6




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