Après une assez longue absence
Un voyageur revint au village natal :

— Oui, je reviens mourir au lieu de ma naissance,
Dit-il en soupirant, et le destin fatal
 Va, je l’espère,
 Me laisser expirer en paix.

 Il semblait ployé sous le faix
 De la misère ;
 Il était mal vêtu,
Avait le dos courbé, le regard abattu.
On le fuyait. Il eut peine à trouver un gîte.
Les frères, les amis ne le connaissaient plus.

— Je comprends, leur dit-il, la peur, qui vous agite,
Mais gardez-moi ce soir ; vraiment, je suis perclus.
Il me faut du repos, il me faut un refuge ;
 Je partirai bien sûr demain.

 Pour ne pas paraître inhumain
 Aux yeux du monde qui nous juge
 Ou contre nous se fait témoin,
Un frère lui permit d’occuper aux mansardes
 Un petit coin.

Le lendemain matin, ayant changé de hardes,
 Riant, frais et dispos
 Après un bon repos,
Notre humble voyageur se hâta de descendre.
On fut un peu surpris de voir ce changement.
 Le charbon qui sort de la cendre
Ne se transforme pas, non, plus étrangement.

— Mon frère, aidez-moi donc, de votre main adroite,
À charger sur mon dos cette pesante boîte,
 Dit le voyageur
 À son frère tout songeur.

— Qu’avez-vous là dedans ? grand Dieu ! que cela pèse

— C’est de quoi, mon ami, vivre cent ans à l’aise,
 C’est de l’or.

— Frère, ne partez pas, restez, restez encor.

Le voyageur sortit disant avec des larmes :

— L’or plus que les vertus a pour l’homme des charmes.

Livre V, fable 12




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