Au bord d’une prairie
Croissait péniblement un petit cenellier ;
On ne lui voyait pas une branche fleurie ;
 Il était inhospitalier ;
 Il était hérissé d’épines,
 Et, sur ses rameaux presque nus,
 Les oiseaux n’étaient pas venus,
 Comme sur d’autres aubépines,
 Entonner leurs vives chansons.

 Or, à l’époque des moissons,
Un paysan le vit et détourna la tête
 D’un air tout à fait dédaigneux.
L’arbrisseau fut choqué, de cet air malhonnête.

 — Si j’avais un maître soigneux,
Dit-il en agitant sa tête à moitié sèche,
 Je grandirais et serais beau ;
Transplante-moi, pour voir, dans un riche terreau.

 Le bon paysan prit sa bêche
Et du sol appauvri tira l’arbre plaintif ;
Ne doutant pas qu’il fut d’un fort bon caractère,
Il alla le planter au milieu de sa terre,
 Et fut bien attentif
 À lui donner des soins de toutes sortes.

 Le cenellier grandit ;
 Son feuillage verdit,
Couvrant d’un voile épais les branches demi-mortes ;
Mais sous ce beau feuillage avaient aussi poussé
 Les épines cruelles.
Elles se cachaient mieux et déchiraient les ailes
De l’oiseau confiant qui s’envolait blessé.

Ne cultivez jamais une mauvaise plante,
 Jamais, non plus, les cœurs méchants ;
 Votre tendresse vigilante
 Perdrait ses soins touchants,
 Car la culture
 Ne corrige pas fréquemment
 Notre nature
Et lui donne toujours un grand raffinement.

Livre V, fable 13




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