Les charlatans sont gens heureux,
Notre belle France pour eux
Fut et sera toujours un pays de Cocagne :
Charlatans clandestins, charlatans patentés,
Grands seigneurs ou manants, en carrosse ou crottés,
Ils exploitent la cour, la ville et la campagne.
« Suivez la foule, entrez, souscrivez, achetez !
Actions de journaux, procédés brevetés,
Forges, champs au soleil, bois, vignobles vantés,
Mines d'or et d'argent, châteaux en Allemagne,
Bien différents, messieurs, des châteaux en Espagne,
Tout se donne : approchez, sans attendre à demain,
Ici l'on devient riche en un seul tour de main,
Ici tout est profit, à chaque coup l'on gagne.
Et badauds d'accourir, dans l'espoir du gros lot.
Par l'exemple entraînés, mille autres aussitôt
Suivent :tous les moutons ne sont pas en Champagne.
Le ramier, de sa cage une fois envolé,
Par l'appeau du chasseur est en vain rappelé ;
S'il s'est sauvé du piège, aux dépens de sa queue,
Le renard s'en défie et le sent d'une lieue ;
Que des mains du pêcheur il glisse, le .poisson
Ne sera plus repris à mordre à l'hameçon ;
Leurs races en ce point diffèrent de la nôtre :
Le sot bipède humain., dupé cent et cent fois,
De tout nouveau hâbleur écoute encor la voix;
A peine hors d'un piège, il tombe dans un autre.
Ce qu'il était hier, il le sera demain :
Crédule, il se repaît d'erreur comme de pain.

Mille traits au besoin appuieraient ce prologue,
Car il fut de tout temps des charlatans en vogue ;
Mais je n'en dirai qu'un, dont la date, je crois,
Remonté au siècle du grand roi, .
Et qui pourrait fournir un charmant apologue,
Traité par un auteur plus habile que moi. ..' ..'

En seize cents... et tant... (je deviens vieux, j'oublie),
Monsieur VillarS vendait son eau de longue vie.
« Mes pères, disait-il, m'ont transmis ce secret,
~ Tous-ont vécu sans maladie
Cent ans et plus. » Chacun courait
Pour acheter l'eau merveilleuse ; ,
Merveilleuse en effet, car on s'en trouvait bien. -..
Une recette précieuse
En expliquait l'emploi ; le tout coûtait... combien?
L'eau six francs la bouteille, et la recette, rien.
Cette pièce était curieuse :
« Un verre de cette eau prise à jeun le matin,
Purgeant les humeurs et la bile,
Soutient et raffermit une santé débile.
Mais l'effet en sera plus prompt et plus certain,
Si l'on fuit les excès, les fatigues, les veilles>
C'est alors que mon eau produira des merveilles. »
Comme d'un tel régime on se trouvait au mieux,
Le débit fut prodigieux,
Villars en quelques-mois avait fait sa fortune,
Il résolut alors, chose assez peu commune,. ,
Tout en gardant l'argent, de dessiller les yeux
Des badauds de Paris; et, bien que ce scrupule
Puisse aux Villars du jour paraître ridicule,
Ce modèle des Charlatans,
Cet honnête homme à sa manière,
Fit insérer ces mots dans les journaux du temps :
« Mon eau de longue vie estde l'eau de rivière,
Je vous en ai fait voir la vertu singulière,
Buvez-en, mes amis, et vous vivrez longtemps. »

D'abord on eut peine à le croire,
Tant par le merveilleux on se laisse éblouir;
Mais enfin, quand il fut notoire
Qu'avec l'eau de la Seine on pouvait se guérir,
Personne n'en voulut plus boire.

Livre IV, Fable 5, 1856




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