Contre des jeunes gens présomptueux.
La louange est souvent une bien rude épreuve.
On a cent fois redit cette leçon ;
J’en vais donner, à ma façon,
Une nouvelle preuve,
Dans une fable toute neuve.
Lisez-la bien, jeunes enfants ;
Car c’est à vous surtout que mon conte s’applique,
Bien qu’il instruise ici les petits et les grands.
Un Singe, dès ses premiers ans,
Tiré des bois de l’Amérique,
D’un professeur de rhétorique
Charmait les loisirs innocents.
On sait que la mère nature
A fait le singe imitateur.
A force de voir le rhéteur,
Le nôtre attrapa son allure,
Et même, au dire d’un auteur,
Parfois du bonnet du docteur
Il ornait sa laide figure.
Dans ce savant accoutrement,
Car vous devinez aisément
Que la robe et que la simarre
De ce personnage bizarre
Parachevaient l’habillement ;
Or, dis-je, dans ce beau costume,
Messire Singe avait coutume,
Pour s’exercer apparemment,
De se poster devant la glace,
Au milieu de l’appartement,
Et puis, avec mainte grimace,
Il s’agitait, gesticulait.
Tour-à-tour sa laide prunelle
S’abaissait et se relevait,
Etincelait et se mouillait,
Et, dans le feu d’un si beau zèle,
On prétend même qu’il parlait.
Enchanté de ce Démosthène,
Qui ne lui venait point d’Athènes,
Le rhéteur et ses bons amis
L’excitaient à se mettre en scène,
Et ses tours étaient applaudis.
Mais, un beau jour, la pauvre bête,
(Que de savants ont ce malheur !)
En vint jusqu’à se mettre en tête
Qu’elle était un grand orateur.
Elle trouve la porte ouverte :
Sans bruit, la voilà qui déserte,
Court à la chaire du rhéteur,
Et, vous comprenez, dans sa langue,
Commence une vive harangue.
On rit d’abord. Les écoliers
Trouvent la farce assez comique.
Mais bientôt, armés d’encriers,
Sur le beau Singe académique
Ils fondent tous à qui mieux mieux.
Il fut resté mort sur la place,
Si le professeur furieux
Ne fut accouru dans la classe,
Et n’eût terminé sa disgrâce,
En le renvoyant tout honteux.