Le Tourtereau et la Glace Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)

Contre les faux amis.
Un Tourtereau, dans l'âge d'innocence,
Sorti du palais paternel,
Où quelque paresseux mortel
Avait veillé sur son enfance,
Se posta devant un miroir.
Comme eût fait tout autre à sa place,
Il regarde, il s'étonne, et bientôt il croit voir,
Dans la riche surface
Qu'étalait à ses yeux la Glace,
Ou son père, ou son frère, ou sa mère, ou sa sœur,
Ou quelque autre enfin ; mais n'importe,
Quelqu'un bâti de même sorte ;
Et le voilà, plein de bonheur,
Et qui roucoule, et qui s'incline.
Son oeil brille et toute sa mine
Exprime sa touchante ardeur.
Comme on lui rend tout ce qu'il donne,
À la tendresse il s'abandonne.
II tressaille et brûle d'amour.
On le paie encor de retour ;
Mais il s'approche, il bat de l'aile,
Il béquette, et bientôt cette image infidèle
Disparait ; le miroir en morceaux est à bas,
Et, tout tremblant, glacé de crainte,
Froissé, meurtri par les éclats,
Le pauvre oiseau pousse une triste plainte.

Coeurs trop tendres, quêteurs d'amis,
Craignez une belle apparence,
Et n'avancez qu'avec prudence,
En foulant les secrets parvis
Où vous cherche !! l'autel de l'amitié si sainte ;
Car maints amis,
A bon droit je le dis,
Pour vous n'auront que feinte,
Alors qu'ils paraîtront plus fortement épris.
Non, l'amitié n'est point dans ce qui peint sa flamme ;
Elle habite au secret de l'âme.

Livre II, fable 13




Commentaires