Le Tourtereau et la Tourterelle Le Marchant de Viéville (17?? - 18??)

La jalousie a produit bien des maux :
Ce sont toujours des monstres qu'elle enfante ;
Elle embellit encor l'être que l'on tourmente
Et partout nous fait voir et craindre des rivaux.

Les Tourtereaux sont un peuple fidèle ;
Nous les voyons s'aimer d'une ardeur mutuelle,
Et bien rarement se quitter ;
Cependant une Tourterelle,
Jalouse et prompte à s'irriter,
À chaque instant cherchait querelle
Au plus sensible Tourtereau ;
Il était tendre, il était beau :
Pour alarmer, en faut-il davantage ?
Un jour qu'il s'était écarté,
Ou plutôt égaré dans un épais bocage,
Le cœur de sa compagne alors fut tourmenté.
« À quelqu'autre sans doute il en conte, dit-elle :
Près de moi quand il reviendra
Effrontément il me dira
Que je suis à jamais sa chère tourterelle. »
En ce moment il revint, on bouda :
Dans ce qu'il dit avec tendresse
Pour s'excuser elle trouva
Moins de raison que de finesse,
Et très vivement le gronda ;
Or chaque jour donnant naissance
À des soupçons injurieux,
Elle bannit enfin de sa présence
Celui qui méritait le mieux
Son amour et sa confiance.

Quand on aime sincèrement
Les torts du bien-aimé sont un léger nuage
Que dissipe le moindre vent ;
Le calme suit de près l'orage.
Malheur à la beauté que le ressentiment
Irrite toujours davantage !
Celle qui pour jamais sans sujet se dégage
Et des liens détruit le plus charmant,
Déshonore à-la-fois dans sa jalouse rage
Elle, l'amour et son amant.

Livre III, fable 9




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