Imaginez en bronze un tout petit bonhomme,
Aimé, choyé, révéré comme,
En Égypte, le bœuf Apis,
Voilà, messieurs, ce que l'on nomme
A Bruxelles Manneken-Pis.
D'ailleurs, ce n'est qu'une fontaine
Qu'on a faite sous forme humaine.
Elle fournit d'eau le quartier,
Et la fournit d'une manière
Naturelle, il est vrai, mais un peu singulière,
Comme l'indique un nom tout aussi singulier.
Or, Manneken-Pis qu'on appelle
Le plus vieux bourgeois de Bruxelle,
Fut l'heureux favori des princes et des rois,
Qui successivement en Belgique régnèrent.
Et plusieurs d'entre eux lui donnèrent
Qui des habits brodés, qui des rubans, des croix.
Aussi faut-il le voir, les jours de grande fête,
En riche habit de cour, une épée au côté,
Paré d'un grand cordon qu'il n'a pas mérité,
Et, d'un petit air de fierté,
Portant le chapeau sur la tête.
Plus d'une révolution,
Ainsi que chacun le présume,
L'a contraint quelquefois de changer de costume,
Pour garder sa position.
Il a porté des rois la brillante livrée ;
Et puis, sans que cela pût l'émouvoir en rien,
La blouse du plébéien,
Aussi longtemps qu'elle fut honorée.
Quoi qu'il arrive enfin, soit en bien, soit en mal,
Jamais il ne s'en embarrasse ;
Solide sur son piédestal,
Il met un autre habit, et conserve sa place.
J'en nommerais plus d'un, si j'étais indiscret,
De qui la politique hypocrite et bâtarde,
N'eut pour se maintenir que ce simple secret :
Changer à propos de cocarde.