Griffart, c'était le nom d'un vieux Matou,
Le plus rusé, le plus adroit Filou,
Un vrai Cartouche, un Mandrin en personne.
Viande, poisson, fromage, lait,
Rien n'était à l'abri de sa patte friponne ;
Tout était bon pour sa gueule gloutonne,
Ce qu'il trouvait, il l'avalait.
Certain jour, à travers les barreaux de l'armoire,
Son ordinaire observatoire,
Il lorgnait deux pigeons bien rôtis, bien bardés,
Et du matin pour le souper gardés.
Le scélérat à la porte s'élance,
S'y pend, l'agite, la balance,
Ensuite d'une patte écarte les battants,
Puis il glisse l'autre en dedans,
Pousse et fait tant, qu'à la fin il s'avance,
Jusqu'au loquet qu'il lève, et qui s'ouvre à l'instant ;
Il entre, et d'un Pigeon s'étant rempli la panse,
Fait signe au petit Chien d'en venir faire autant.
Mignard était un Chien fort sage,
Mais l'exemple fut fi tentant,
Qu'enfin sa vertu fit naufrage :
Hélas ! il s'en mordit les doigts dans le moment,
Car, à peine était-il entré dedans l'armoire ;
Le croirez- vous, ô siècles ! ô mémoire !
Le traître Chat, sur lui, la porte repoussa,
Et l'enferma
Vous jugez aisément que, l'Epagneul en cage,
N'osa pas toucher à sa part ;
On le crut cependant seul auteur du dommage
Et l'on fessa monsieur Mignard.
Dans tous les temps, ce fut l'usage
Qu'un Novice fripon payât pour les Profès ;
De ce métier, le dur apprentissage,
En devrait seul dégoûter à jamais.