Sous Guillaume habitait, en mon hameau de Glain,
Vivant d'un revenu qu'on soupçonnait fort mince,
Un septuagénaire ayant nom Marcellin,
Capitaine autrefois dans la garde du Prince.
Naquit-il gentilhomme ou comme moi vilain ?
Je l'ignore ; mais, s'il faut croire
Maint charmant petit trait d'histoire
Que les anciens d'alors m'ont raconté de lui,
Officier plein de grâce, à l'humeur toujours bonne,
Ainsi que la plupart des nôtres d'aujourd'hui,
Il ne fit de ses jours la guerre qu'à l'ennui
Et jamais, hors le temps, il ne tua personne.
Or, ce brave homme avait un chien,
Non pas de ces grognards dont on se gare bien,
Et que l'on tient au trou prudemment à l'attache,
Mais très-gent épagneul. Je crois le voir encor !
Fin museau, poil soyeux et blond comme de l'or,
Petit corps avenant, longue queue en panache ;
Rien n'était plus mignon qu'Azor.
Et puis, ce qui de lui faisait un vrai trésor
Pour le bon vieillard solitaire,
Qu'épouse et fille avaient quitté,
C'étaient, bien plus que sa beauté,
Les charmes de son caractère.
Pour Azor point d'autre souci
Que de plaire au maître chéri.
Que dis-je ! telle était envers lui sa tendresse,
Qu'il avait, tout exprès pour lui,
Appris maint joli tour d'adresse,
Afin de l'égayer dans ses moments d'ennui.
Le soir, rentré dans ma demeure,
Auprès des deux amis j'allais passer une heure ;
C'était mon plus cher rendez-vous.
Que j'avais de plaisir quand le vieux capitaine
Du bon temps de jadis contait quelque fredaine,
A voir le tendre Azor, grimpé sur ses genoux,
Écouter, le couvant de son regard si doux !
Comme il montait la garde au moindre signe ! Avecque
Quelle grâce charmante il sautait pour le Roi,
Puis pour feu le bon Prince-Évêque,
Puis pour Marcellin, puis pour moi !..
Plein d'attentions délicates,
Voyait-il le vieillard taciturne, assombri,
Il étendait vers lui ses deux petites pattes,
Ayant l'air de lui dire : « Oubliez des ingrates,
Azor vous reste pour ami ! >>
Il ne le quittait pas de la journée entière ;
Aux repas, il mangeait sur ses genoux ; c'était
Au pied de son lit qu'il dormait.
Aussitôt que du soir commençait la prière,
Crac, d'avance à sa place il s'installait sans bruit,
Pour que les pieds du maître eussent bien chaud la nuit ;
Et quand, pour faire le ménage,
Jeanne, dondon du voisinage,
[nuit ;
S'en venait, le matin, à la porte frapper,
Azor sans doute au bruit se mettait à japper ?
- Non, non, détrompez-vous : alors l'aimable créature,
Qui savait que le vieux avait l'oreille dure,
Pour ne pas, de ses cris, l'éveiller brusquement,
Au chevet se glissait et puis tout doucement
De la patte tirait son gros bonnet de panne,
Comme pour dire : « Maître, allez ouvrir à Jeanne. >»
Un soir (je n'oublierai jamais ce moment-là,
Quand je vivrais cent ans), comme j'entrais, voilà
Que Marcellin me crie en sanglotant : « Regarde,
C'est fini notre ami, notre fidèle Azor,
Si complaisant, si gai, si vif hier encor,
Nous ne le verrons plus monter pour nous la garde ! »
Et ses pleurs ruisselant sur sa face blafarde
Inondaient l'épagneul qui venait d'expirer.
Je restai là debout, de stupeur immobile,
Et, faisant pour parler un effort inutile,
Avec mon vieil ami... je me mis à pleurer.
Pauvre petit Azor ! hélas ! quel cœur de roche ?...
Jeanne pensa d'abord au voisin le plus proche,
Homme sombre, emporté, brutal,
De qui l'innocent animal
Avait, dans ses accès d'allégresse naïve,
Effarouché parfois la volaille craintive.
C'était bien lui, le traître ! Aussi, pour son péché,
Dieu permit qu'au milieu d'une nuit ténébreuse
Le putois vint croquer sa meilleure couveuse
Et son grand beau coq panaché,
Qui, dans douze.combats, s'était couvert de gloire.
Marcellin survécut peu de temps, resté seul,
En proie à plus d'un vieux déboire
Que ne dissipait plus le joyeux épagneul.

Ici se termine l'histoire :
Puisse-t-elle au hameau faire aimer la mémoire
D'un chien digne en tout point de vivre au siècle d'or !
Robermont ! que de fleurs de rhétorique on jette
Dans tes murs à des gens qui, soit dit en cachette,
Pour le sens et le cœur étaient bien loin d'Azor !

Livre III, fable 6


Notice nécrologique

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