Je suis (la faute en est, j'imagine, au bon Dieu)
Assez poltron de ma nature.
Si je fais au lecteur un si pénible aveu,
Il faut qu'en revanche il endure
Que de ceux-là je rie un peu
Qui se tenant, de peur, tant que le danger dure,
Au grenier prudemment reclus,
Ont l'air de tout braver quand le danger n'est plus.
À peine le vautour que la famine exile,
Loin du rocher, son redoutable asile,
A-t-il pris son dernier essor,
Que chacun se hâtant veut de l'oiseau vorace
Sur le sommet désert scruter la moindre trace,
Et tâter son nid tiède encor.
Oh ! voyez, du fond de la ville,
Comme autant de sous déliés,
Vers sainte Walburge à la file
Nos Liégeois accourir !... Voyez,
Comme le flot qui monte, écume,
Les arts, les trente-deux métiers,
Les gens de trafic, les rentiers,
Les abbés, les hommes de plume,
Du fort débordant les glacis,
Pour franchir l'étroite avenue,
Sous leur ondoyante cohue
Faire trembler le pont-levis !
« Vivat, à moi la citadelle ! »
Crie un des plus pressés parmi les assaillants,
Qui s'est, à l'Ours, j'opine, échauffé la cervelle,
« Heureux le Hollandais de n'être plus céans !
Il doit au Ciel une fière chandelle !
Comme, en prenant la clé des champs,
Ces brigands l'ont échappé belle ! »
Ha, ha ! regardez donc ce bossu qui, du haut
D'un bastion qu'il vient d'escalader d'un saut,
Fixe sur Liège une ardente prunelle :
Sans doute que, saisi d'un belliqueux transport,
En lui-même il se dit : « Le poltron ! l'imbécile !
Que serait- ce de toi maintenant, pauvre ville,
Si j'avais commandé ce fort ! »
Il n'est pas jusqu'à la bégueule
Qui n'aille effrontément regarder dans la gueule
Ces canons furieux dont le souffle a broyé
Mainte pierre aux maisons du faubourg effrayé,
Comme aux grains de blé fait la meule.
Et ces petits gamins des populeux quartiers,
Fièrement à cheval sur d'énormes mortiers,
Du fort vieux et terribles hôtes,
Oh ! ne les entendez-vous pas
Commander : au galop, puis au trot, puis au pas ?
Et là-dessus les bons papas
De rire à se tenir les côtes.
Le spectacle est vraiment des plus facétieux :
Il me semble avoir sous les yeux
De joyeuses souris une peuplade entière,
Qui de leur grange hospitalière
S'aventurent, trottant, se pressant pour aller
Narguer à qui mieux mieux, défunt sous la gouttière,
Le corps du gros matou qui les faisait trembler.
Note de l'auteur : Cette fable , qui n'en est pas une , me fut inspirée par le spectacle amusant de l'affluence des curieux à la citadelle de Liège, après le départ de la garnison hollandaise (octobre 1830).