Blaise et Crispin Remacle Maréchal (1796 - 1871)

Compère Blaise et son ami Crispin,
Le premier mars ayant de leur chaumine,
Au point du jour, fait gille à la sourdine,
Pour saluer dignement saint Aubin,
Couraient joyeux boire ensemble chopine.
Ils cheminaient sur le bord d'un ravin
Large et profond : « Hé, parbleu, mon voisin,
Exclama Blaise en faisant une pause,
Il me souvient ici de quelque chose :
Regarde bien de la place où je suis ;
Vois-tu là bas, Crispin ? - Oui, Blaise, et puis ?
Certaine fois que, seul, de la taverne
Je revenais à minuit, sans lanterne,
En trébuchant contre un maudit caillou,
J'allai d'aplomb choir au fond de ce trou !
Dis, qui jamais fit culbute plus belle
Sans se tuer ? Providence éternelle !
Que contes-tu ! me prends-tu pour un fou ?
Toi tomber là sans te casser le cou !
Tu ris, non pas ? - C'est sérieux, te dis-je :
Le fameux cas de crier au prodige !
N'ai-je pas dit, butor, que j'étais sou ? »
O des buveurs heureuse confiance !
O du flacon merveilleuse influence !
À peine a-t-il à leurs esprits joyeux
Porté l'oubli du ménage ennuyeux,
Des soins gênants, des pressantes besognes,
Qu'ils défieraient le diable impunément :
En vérité, moi je crois franchement,
Avec l'adage, au bon Dieu des ivrognes.

Livre II, fable 4




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