Un collectionneur de choses inutiles,
Ce qu'on nomme aujourd'hui, je crois, des bibelots,
Possédait parmi ses vieux pots,
Ses vieux bahuts et ses vieux ustensiles,
Un violon, authentique produit
De Stradivarius. Avec des soins d'avare
Il avait enfermé dans un certain réduit,
Où sans protection nul n'était introduit,
Cette pièce coûteuse et rare.
La chose se passait en province. Or, un soir,
Un éminent violoniste
Chez des amis survint à l'improviste :
Chacun, on le comprend, eut désir de le voir
Et bien plus encor de l'entendre ;
Mais l'artiste devant le lendemain se rendre
Au chef-lieu du département,
Pour un concert de bienfaisance,
Il avait envoyé d'avance
Son instrument.
Que faire ? On résolut3 en grande conférence,
De s'adresser au possesseur
Du fameux violon ; mais le vieil amateur
Refusa net, et toute l'éloquence
Du messager ne put vaincre sa résistance :
« Bien désolé, dit-il, que mes désirs
Ne cadrent pas avec les vôtres ;
Mais les trois quarts de nos plaisirs
Sont faits avec l'ennui des autres.
Chacun de ce qu'il a use comme il l'entende
Et, fût-ce au prix d'une couronne,
Je ne confierais à personne
Mon Stradivarius ! »
L'autre insista : « Pourtant
Vous n'aurez pas souvent occasion pareille ;
Rarement cette voix qui dort dans son étui
Aura, pour l'éveiller, l'artiste d'aujourd'hui.
A quoi bon posséder une telle merveille
Si jamais, ses accords ne frappent votre oreille ?
En jouez-vous, au moins ? »
— « Non certes, nullement !
Je n'entends rien à la musique,
« Et pour moi le point spécifique
N'est pas d'avoir un instrument
Bon ou mauvais, mais simplement
Authentique ! »
De la même paroisse est ce particulier
Qui, se disant bibliophile,
Avait rempli son domicile
De livres, qu'il faisait superbement reljer ;
Il y mangea son héritage,
Mais sans en avoir lu de sa vie une page.