De la Mouche et du Frémi Ysopet I (Moyen Âge)

La mouche où tant a d’atène
Tance au frémi par grant haine.
Elle se loe, l’autre desprise :
Oncques li tient plait en tel guise :
Tu es reclus en ta teniere ;
Moi, je vole comme legiere :
En ton creus te met et avales ;
Je demeure en hautes sales.
Tu ne vis fors de grains sans plus;
Et moy j’ay viandes a refus,
Et, coin je demander ose,
Chair et poisson et autre chose.
L’eau que tu bois et trouble et ort ;
Je boy bon vin et cler et fort,
A hannap d’or tant comme plest.
Table de roy m’abeuvre et pcst;
A toutes ses viandes touche,
Baise la royne en la bouche,
Quant je veulz ou nez ou on front.
A se aisément li respont
Li frémis en telle maniéré :
En mon cruex et en ma teniere,
Me déduis et jeue et solace ;
Mes tu n’as paiz en une place.
Ce pou que jé me soufist bien ;
Mes a toy ne soufist-il riens,
Choses que ayes devers toy,
Toutes les viandes le roy ?
En mon creux me tiens liez et aise :
Tu es chieux le roy en malaise.
Se mes vivres gist tout en blé,
Je ne l’ay tolu ne emblé ;
Ains l’ay pourchassié loiaument,
Et tu l’embles mauvaisement,
Si que la péeur de l’ambler
Fait ce que embles, venin sembler;
Et la grant pais où mon cuer gist
Mon petit mengier adoucist :
Vis de fourment et pur et net;
Mes nulle riens si necte n’et
Qui ne deviengne vil et orde
Pourquoy mouche la touche et morde :
Je ne fais nuisance a nulluy,
Tu fais a tout le monde ennui.
J’espargne et néant destrui ;
Tu taus et devoures autrui.
Tu vis pour mengier seullement :
Je mange pour longuement
Vivre : chascuns te ficrt et chasse;
Mais je ne truis qui mal me face.
De là où tu chasses ton vivre
Voit l’en souvent ta mort en suivre :
Bon vin et doulz bois a la fois
Dont venimeuse mort reçois.
C’est ta force, ta vertu telle.
Se un esmouchieus te fiert sus Telle,
Morir te convient et chéoir;
Ce puet l’en toute jour véoir.
Ce ta force en est dure,
Et se ores es bien ligure
Que nuis ne te puisse maufere,
Perdue es quant iver repaire :
Du tout t’en estuet a foïr.

Villonie si veult oïr
Qui vilonnie dit ou lait.
Langue amer homme ou hair fait.
Qui biau dit, biau oïr pourra :
Biau die, qui dire vourra.
La langue qui est venimeuse
Response n’aura gracieuse.
Male langue haine engendre :
Nourrit en mour com feu en sendre.
Langue qui est envenimée
Porte venin gueule bée.
S’en ce dit nous nous esbaton,
Entendons le sage Caton
Qui dit que vertu preumeraine
Est atremper langue grifainne :
Moise langue est pire morsel
Que n’est du sorsemé poursel.
Se nous croire voulons Tapostre
Langue refrainnons qui est nostre ;
Et se le sage Salemon
En ce dialeguc reclamon.
Trouverons qui dit : Très hasseus ,
Hanviens homme peresceus,
Va au frcmmi, ce dit mon livre,
Qni sceut amasser pour soui vivre :
En est a fin que li yvers
Ne li soit nuisant ne divers.

Tiré du le livre Fables inédites des XIIè, XIIIè, XIVè siècles et Fables de la Fontaine, par A.C. M. Robert, 1825, p.226


Fable XXXVI

Notes

Atène ou athaine : querelle, dispute
Avales : descends, de avaler, descendre
Ort : sale, vilain, hideux, de horridus
Elle : aile, de ala
Quant yver repaire : quand l’hiver reparaît
—Vertu preumeraine : la première vertu
Grifainne ou grifaine : cruel, sauvage
Moise : pour mauvaise
Sorsemé : gâté, pourri, puant


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