Entre l'or et le fer un jour grande dispute,
Terrible allait être la lutte.
On sait que des mauvais propos
Viennent nos maux.
Il advint que par là passait dame Justice ;
On l'appelle, elle vient :
La justice est un bien ;
Du bon droit, de l'honneur elle est la protectrice.
— Jugez-nous, lui dit l'or.
Vous le savez, je donne la richesse,
Avec elle l'esprit, la grâce et la noblesse,
Mon favori fût-il un gros butor.
Tout ici-bas me rend hommage,
À la ville, à la cour et jusques au village.
On ne veut plus que moi ;
Me posséder, c'est la suprême loi.
Ce vil métal, ce fer, veut qu'à lui je me donne ;
Mais puis-je ainsi m'humilier,
Descendre au dernier rang quand je brille au premier,
Au front impérial qui me porte en couronne ?
— Permettez, dit le fer, que je parle à mon tour :
Puisque l'or a tout le mérite,
Des grands et des petits tout l'amour,
Ma part, assurément, doit être bien petite.
Cependant, est-ce l'or qui trace les sillons,
Qui répond à l'aimant qui vers le nord m'attire,
Qui conduit au port le navire
A travers les écueils, les nuits, les aquilons ?
Est-ce l'or qui construit ces lignes parallèles
Sur le sol nivelé, ces beaux chemins de fer,
Ces trains que la vapeur emporte à tire d'ailes
Au signal du sifflet, avec un bruit d'enfer ?
Est-ce l'or qui conduit l'étincelle électrique
Du câble sous-marin qui passe sous les flots,
Qui porte la parole aux rives d'Amérique
Aussi fidèlement que la voix des échos ?
Mais est-ce l'or, enfin, qui défend la patrie,
Couvre d'armures nos soldats !...
L'or, dans la volupté, passe toute sa vie ;
Pour la gloire et l'honneur le far court aux combats !
La justice, dans sa sagesse,
Leur donna ce conseil que l'on enfreint sans cesse :
« La pai x soit avec vous !... »
Devant la parole divine,
Que l'on soit or ou fer, il faut que l'on s'incline,
Ou les malheurs sont près de nous.
Allez, vivez en frères ;
Nous avons ici-bas bien assez de misères,
Trop peu de charité
Et beaucoup trop de vanité.

Livre III, fable 20




Commentaires