Un maître avait deux ouvriers :
L’un grand travailleur fort habile,
L’autre maladroit et débile,
Rebus de tous les ateliers,
Honnête cependant et père de famille.
Le maître en l’employant consultait son bon cœur ;
Lui-même il avait une fille,
Et voulait lui porter bonheur.
Le premier recevait un honnête salaire
Convenu, bien payé, mais se fâchait pourtant
De voir l’autre gagner autant.
Si bien qu’il vint tout en colère
Se plaindre au maître un jour. Le maître a répondu :
- Je te donne ce qui t’est dû,
Et j’ajoute pour ton confrère
Ce que je lui crois nécessaire.
Mon argent est à moi, ne puis-je en faire don
A qui me plaît ? Sois fier d’être le plus robuste.
La loi m’ordonne d’être juste,
M’est-il défendu d’être bon ?
La justice a droit d’être chiche :
Devoir, c’est ne plus posséder.
Mais à l’élan du cœur il est doux de céder,
Et c’est pour donner qu’on est riche.
Symbole 23 :
Cette fable est imitée d’une parabole de l’Evangile.
Il n’est pas question ici de la solidarité entre les travailleurs ni de l’égalité de salaire, mais du droit de donner qui est la plus précieuse de toutes les prérogatives de la richesse.
Celui qui fait ce qu’il peut, mais qui ne gagne pas assez a besoin de secours. Ce secours on ne le met pas à la charge de celui qui gagne davantage ; mais si le maître prend sur lui d’assister celui qui gagne moins, le travailleur qui se suffit serait injuste de le trouver mauvais.
Il y a deux moyens d’abolir la misère :
Premièrement supprimer les vices par la religion, l’instruction et la répression ;
Secondement combler par la charité les vides que laisse l’insuffisance du travail.
Prendre un fusil pour combattre la misère, c’est comme si on prenait de l’alcool pour combattre la fièvre. Les révolutions n’ont jamais eu pour effet que d’augmenter la détresse du peuple.
Les conseiller à ceux qui souffrent, c’est comme si on conseillait à ceux qui se trouvent mal logés de brûler leur maison et à ceux qui sont mal vêtus de jeter au feu leurs haillons.
Ils avaient des galetas, ils seront dans la rue ; ils avaient des lambeaux pour se couvrir, ils seront nus.
Croit-on par de semblables excès faire violence à la charité ou à la justice ?
Mais la justice punit les désordres au lieu de les récompenser et la charité s’enfuit devant la justice.
Bonne conduite, travail et assistance mutuelle, voilà l’espérance des pauvres.