Le Morocoï et l'urubu Fables américaines (?)

J'espère qu'en voilà des noms bien fantastiques,
Comme il convient à ceux des bêtes d'Amérique !
Mais n'est-ce pas le fait d'un vrai hurluberlu
D'aller choisir ces noms ? Pour la rime, Urubu,
N'aura pas son pareil, tant pis ! vienne la rime
Mal ou bien, c'est écrit : trime, rimailleur, trime !

Morocoï, c'est tortue aux savanes lointaines ;
Urubu, c'est vautour faisant police urbaine.
L'un remplace fort bien une tête de veau
Dont on fait le potage ici ; l'autre, l'oiseau,
Est chargé d'enlèver partout les immondices
Des villes, de remplir aux pays chauds l'office
De boueux, d'égoutier, d'enlèveur de rats morts.
On s'en aperçoit bien quand dans la rue l'on sort.
Il est maître et seigneur du pavé, ne vous cède
La place qu'à regret, et partout vous obsède
Son cou pelé sur un vilain plumage noir,
Son parfum qui n'est pas fait pour votre mouchoir.
Si l'on a le malheur de bousculer la bête,
Le gardien de la paix aussitôt vous arrête,
Et l'on vous fait payer une livre sterling
Pour vous enseigner à passer votre chemin.

Un Urubu trottait au milieu d'une rue
De Port-of-Spain, ainsi faisant le pied de grue
Depuis le matin ; ce jour-là, par aventure,
Sa ration manquait de sale nourriture.
Un joli Morocoï au ruisseau farfouillait,
Cherchant quelque débris de banane bien frais
Pour apaiser sa soif, sortant d'un air morose
Ses pattes et sa tête aux points de corail rose
De son têt. L'Urubu prestement saute à lui :
« Comment allez-vous donc ce matin, cher ami ?
Avancez donc la patte un peu que je la serre ! »
Il apprêtait déjà son gros bec et sa serre.

Mais l'autre prudemment rentra tout dans son tôt,
Lui disant : « Cher ami, vous sentez trop mauvais,
Vous sentez la chair fraîche, et je connais la fable
De l'Ogre et du petit Poucet. »
Ce jour-là l'Urubu ne se mit pas à table.





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