Certain poisson, l'Obo, s'en allait en voyage ;
Il remontait le Sénégal.
Il devait observer, d'un côté du rivage,
Le nomade, en son camp, sous sa tente sauvage
Où dort près de lui son cheval.
Il devait s'arrêter devant chaque village
Où les nègres joyeux battent leurs gais tambours (5)~
Où leurs filles, dansant sous un ciel sans nuage,
Chantent leurs jeux et leurs amours;
Voir aux champs du Walo les plantes étrangères,
Les maisons, les jardins, les cultures prospères
Dont les Français ont doté ce pays.
Il voulait, en passant; acheter des gris-gris
Chez les Foulhs, peuple fanatique,
Du morfil à Galam et de l'or au Bondou.
Il devait terminer son voyage en Afrique,
Aux cataractes de Felou.
Le départ de l'Obo devint un jour de fête.
Parens, amis, voisins, chacun d'eux lui donna
Quelque commission, qui ceci, qui cela;
C'était de quoi perdre la tête.
A chacun FObo demanda
Comme souvenir une arête.
Mais sans rien rapporter le drôle la garda.
Combien de gens ainsi gardent ce qu'on leur prête!
C'est, dit-on, depuis ce temps-là,
Qu'enrichi de cette manière,
D'arétes bien pourvu l'Obo lui seul en a
Bien plus qu'aucun poisson de mer ou de rivière.

Fable 26


Note de l'auteur.

Les Sénégalais appellent Obo un poisson qui m'a paru appartenir au genre du clupe. Il est remarquable par une très-grande quantité d'arêtes. C'est sous ce rapport que les nègres en ont fait le sujet de la fable DU du conte dont je donne une imitation.

Le Maure, comme l'Arabe, affectionne beaucoup son cheval il lui donne des soins tout particuliers. L'animal est, en quelque sorte y considéré comme faisant partie de la famille. Il passe !a nuit à l'entrée de la tente de son maître; souvent même il trouve place dessous.

Les nègres du Sénégal sont extrêmement gais ; ils battent du tambour, chantent et dansent tous les soirs et pendant une grande partie des nuits.

Les Foulhs) habitent le pays de Fouta-Toro, situé sur la rive gauche du Sénégal, au-dessus du Walo.

Dans le commerce du pays, on appelle morfil les dents d'ëtéphants, l'ivoire.

Galam est le nom commun que l'on donne à divers petits états vers le haut du fleuve. La France y possède le fort de Bakét, destiné à protéger ses relations commerciales.

Les nègres aiment à imaginer, pour ce qui les étonne, des explications plaisantes ou bizarres. C'est un amusement, un simple jeu d'esprit. Ils s'évertuent, en parlant d'un fait nature!, à qui lui supposera l'origine ou la cause la plus singulière. On trouve quelquefois, dans ces contes, des idées ingénieuses, plus d'intérêt et d'art qu'on n'en attendrait. Ces espèces de plaisanteries ne nous sont pas étrangères; nos anciens fabliaux en sont remplis; Rabelais en fournit beaucoup d'exemples.


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