Le Rouet à filer Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Un ignorant..... Quelle bête est cela ?
Voulez-vous bien en tracer une esquisse.
Hélas ! c'est moi, que souvent le caprice
Entraine ici, va promenant par-là,
Sur des sujets où je me vois novice ;
Un ignorant n'en prenez pas d'ennui,
On peut bien l'être, et sans qu'on en rougisse,
A moins d'avair, sur le dos, la pelisse.
Jadis on sut ; on ignore aujourd'hui.
Il faut pourtant que je vous avertisse
Quand il m'advint de prendre du dégoût
Pour l'air capable. Ah ! ce fut sans malice,
Lorsque je vis que les sots savaient tout.
Un ignorant passait dans une rue,
On y vendait des Rouets à filer.
L'invention n'en étant pas connue,
De prime abord a bien fixé sa vue :
Mais ce n'est tout ; il faut la dessiller.
Lors, le marchand entreprend de parler.
Prenez, monsieur, il vous fera service ;
Mettez le pied sur ce chevalet-là :
Vous allez voir comme il fait son office
Il va tout seul..... Tout seul ! Dieu le bénisse !
C'est pour ma femme : elle en raffolera.
Notre homme vient trouver sa ménagère.
Tu n auras plus besoin de travailler.
Allons ! le pied dessus cette palette,
Vas lestement et sans tant tortiller,
Le fil s'accroît, la tâche est bientôt faite ;
Oui, notre femme, il ne faut que mouiller.
Il fallait voir les yeux de l'ouvrière,
Et son air gauche à son nouveau métier.
L'instituteur, pour montrer la manière,
Était, au moins, un mauvais conseiller ;
Pour réussir, il faudrait de l'ensemble.
Le pied, la main doivent se concerter.
Mais quand l'un va, l autre veut s'arrêter ;
Margot trépigne et se lasse : il lui semble
Qu'on ne saurait, à moins d'être sorcier,
Des deux agents faire un seul ouvrier.
Le tout parait tellement incommode,
Qu'on en revient à la vieille méthode,
Et le Rouet va pourrir au grenier.
Ce n'est pas tout d'apporter un chef-d'œuvre,
Il faut pouvair en montrer la manœuvre,
Et prendre soin de la simplifier.

Fable 34




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