Un beau jour, dans l'antre d'Eole,
Se réunirent tous les vents ;
L'un venait du midi, l'autre accourait du pôle ;
Celui-ci de la mer, l'autre des continents ;
Et chacun, à son tour, réclama la parole,
Pour faire le récit, en mots assez tranchants,
De ses faits les plus éclatants :
J'ai, dit le vent de mer, souvent dans ma colère,
Démâté, coulé bas, grand nombre de vaisseaux ;
Moi, j'ai des laboureurs, ruinant les travaux,
Reprit le vent du sol, augmenté la misère ;
J'ai détruit des moulins, des maisons, des châteaux,
Dit, en ricanant, un troisième ;
Puis, survenant un quatrième,
Il se vanta d'avoir culbuté force monts,
Et même, dans les flots, renversé bien des ponts.
Mais celui qui parla d'une manière exquise,
Et qui, dans cette occasion,
Parut, mieux qu'aucun d'eux, fixer l'attention,
Ce fut le fougueux vent de bise :
« Un homme, dit-il, gravement
Cheminait comme un président ;
Je soufflai fort dans sa perruque,
Et de suite sa pauvre nuque,
S'offrit aux regards du passant.
Mais cette perruque, en roulant,
Alla se placer, justement,
Entre les jambes d'une belle ;
Et sa jupe, un peu soulevant,
Montra ce qu'une demoiselle
Cache le plus soigneusement.
Le public s'assemble autour d'elle ;
Celui-ci la plaint, l'autre en rit :
Serre les talons et rougit. »
Mais tandis que cette caverne
Retentit de ces cris joyeux,
Qu'a provoqués le récit croustilleux
Du vent plus froid que celui de galerne,
L'ami de la paix et des jeux,
L'aimable et consolant zéphire,
Ne prenant point part à ce rire,
En un coin se tenait calme et silencieux.
Interpellé par la fière cohorte,
De ses hauts-faits de parler à son tour,
Celui qui ne connaît que les ris de l'amour,
En peu de mots, s'exprima de la sorte :
« Tout mon bonheur, dans la belle saison,
Est de trouver une onde pure,
De clairs ruisseaux et la verdure,
L'ombre des bois, et le vallon
Qu'ornent les mains de la nature ;
Durant les chaleurs de l'été,
D'offrir aux bergers, aux bergères,
Des ombrages verts, solitaires,
Et la fraîcheur et la santé ;
De raser la surface humide
D'un fleuve transparent, limpide,
Ou d'agiter tout doucement
L'herbe et les fleurs de la prairie,
Dont l'aimable parfum, que la couleur varie,
Porte dans tous les cœurs un doux enchantement. »
Ce discours, bien loin de leur plaire,
Blessa ces méchants, ces pervers ;
Et, le fixant d'un œil sévère,
On le regarda de travers.
Zéphir alors crut très-prudent, très sage,
Pour éviter l'effet de leur courroux,
De s'envoler en des climats plus doux,
Où se trouvent toujours l'amour et le jeune âge.
Mais, tout en s'échappant de cet antre sauvage,
Il leur dit, en bravant leur impuissante rage :
« Parmi les cœurs pervers, parmi les insensés,
Toujours les gens de bien se verront déplacés. »

Livre II, fable 15




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