Cupidon, l'Hymen et Plutus John Gay (1685 - 1732)

Dans les frais bosquets de Cythère,
Tandis que Cupidon enseignait aux amours
Aux uns à former l'arc, aux autres à parfaire
La flèche ou le carquois, ses dards et ses atours,
Survint l'Hymen, qui, jaune de colère,
Au Dieu d'un ton tranchant adressa ce discours : -
"Eh! petit babouin de myope,
Bambin des Dieux, Dieu des bambins,
Vite laisse là ton échoppe
Et tes maudits petits gamins,
Et puis causons. Sais-tu vraiment, dis, petit drôle,
Que je joue un si triste rôle,
Que je renonce à mon métier
S'il ne sort de ton atelier
Marchandise mieux outillée ?
Parmi l'espèce corbeillée
Que tu me fais passer, il se trouve des gens
Accouplés, assortis en dépit du bon sens ;
Ils se chamaillent pour une épingle, une plume,
Et puis de s'étonner que sur si laide enclume
On ait rivé leurs fers, on ait forgé leurs nœuds.
Le mari c'est bourru, têtu, capricieux,
La femme donne de la langue,
Et de vinaigre pur arrose sa harangue ;
Lui voudrait commander, et n'obéir jamais ;
Elle tout contrôler, ne faire qu'à sa tête,
Ou l'attaque de nerfs, les si , les car, les mais
Sont là comme un vrai trouble-fête
Pour tout abasourdir :
Tant que l'époux devient jaloux, et non sans cause,
Et veut à tout prix en finir.
Sur ce, l'homme de loi tout-à-coup s'interpose,
Et le divorce enfin d'avoir son cours,
Car sur ce point, femme consent toujours."

"Pourquoi venir me chanter pouilles,"
Dit Cupidon, " vous êtes fou, mon cher,
Suis-je pour quelque chose en vos nombreuses brouilles ?
Non, de par Jupiter !
Courtier- marron de cœurs tout mercenaires,
Vous, vous en trafiquez, ce sont là vos affaires ;
Et tous vos dresseurs de contrats,
Tous vos plats-pieds, vos avocats,
Marchands de chair humaine, y trouvent leurs salaires .
Me voyez-vous signer ces beaux certificats ?
Et si le mariage est un affreux calvaire,
Si vos conjoints sont comme chiens et chats,
Ai-je allumé cette flamme usuraire ?
Agonisez Plutus, si vous voulez, pas moi.”

"C'est vrai," reprend Plutus, "c'est vrai de par ma foi!
Ils ne cherchent en mariage
Ni bon sens, ni raison ; d'esprit pas davantage,
Ni de beauté non plus ; d'amour bien moins encor,
Mais l'objet de leurs vœux c'est l'or, et toujours l'or.
Ils offrent leur encens seulement sur ma châsse,
Je signe leurs contrats, ou plutôt leurs marchés.
Mais que voulez-vous que j'y fasse ?
Ne suis pour rien dans leurs péchés.
De son malheureux sort que peut dire Bélinde ?
Elle a voulu tous les trésors de l'Inde !
Doris était assez riche, il est vrai pour deux,
Elle a voulu d'un Lord le titre ambitieux !
Chaque homme enfin ou près ou loin d'un trône,
D'une très forte dot me demande l'aumône ;
Or, l'avarice est un défaut
Qui fait ménage avec les soucis aussitôt !"

Livre I, fable 12


Note du traducteur : En Angleterre les contrats de mariage sont dressés par les solicitors et non par les notaires.

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