Le Cerf apprivoisé John Gay (1685 - 1732)

Un jeune Cerf errait à travers les broussailles,
Soudain comme par des tenailles
Il fut arrêté par ses bois ;
Un manant qui le vit pantois
En eut bientôt fait la capture.
Il le conduisit d'aventure
A son seigneur le châtelain,
Qui pour prix du cadeau, lui fit don d'un pour-boire ;
Ce dont le rustre, on peut le croire
Se montra fort content. Notre Cerf fut soudain
Mené devant la dame châtelaine ;
Elle était belle, elle avait l'âme humaine,
Elle admira beaucoup le gentil animal,
Et puis obtint qu'on ne lui fit pas mal.
Enfermé dans la cour, mais sans aucune attache
Il fuit d'abord, dans tous les coins se cache,
Puis enhardi par un aimable accueil
Timide encore il risque un œil :
Il grignote le linge étendu sur la corde,
Et sans miséricorde,
Dîne d'un capuchon, ou bien d'un tablier.
Il se plait à chiper le pain de l'écolier,
De l'écolier son jeune maître,
Et suit le sommeiller dès qu'il le voit paraître ;
Chaque jour par degrés s'approche de plus près,
Et pour une caresse à la voix vient exprès.
Puis flaire chaque main en quête de pâture,
Et s'il est repoussé fait feu de son armure ;
Et l'homme son fléau jadis
Devient l'objet de son mépris.

Ainsi fait jeune villageoise,
Quand à ses yeux d'abord s'offre un soldat ;
Elle se cache la sournoise
Avec la finesse du chat ;
La fois d'après on s'apprivoise,
On risque un œil sur le galon ;
Enfin on devient plus courtoise,
On regarde cet Apollon,
On le regarde sans alarmes,
On ne retire pas sa main,
Car l'uniforme a tant de charmes ;
Et puis l'on se dit : A demain !
Et de toutes, c'est là l'histoire,
Et la pudeur s'éteint dans les bras de la gloire!

Livre I, fable 13




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