Certain Marchand chrétien, habitant de Surate,
Se trouvant un jour court d'argent,
Ayant même vendu sa dernière cravate,
Crut dans cet état indigent
Trouver chez les chrétiens un secours immanquable ;
Mais il ne pût d'aucun une obole obtenir.
Cependant il fallait de quoi s'entretenir,
Ou dans peu mourir misérable.
Notre homme eut donc recours au défaut des chrétiens
Aux Idolâtres Indiens,
Par un desquels lui fut sur le champ accordée
La somme qu'il avait aux chrétiens demandée :
Mais à cette condition,
Que cette somme en question
Lors qu'à cet idolâtre elle serait rendue,
Par dessus l'intérêt lequel en proviendrait,
Une once encore il couperait
De la chair du chrétien la plus belle à sa vue.
Le dernier à tout consentit :
Il en donne au païen promesse par écrit,
Sans s'embarrasser de la fuite.
A quelque temps de là, s'étant mis en crédit
Par les soins et par sa conduite,
Il rapporte l'argent, demande son écrit.
Il est juste, il est raisonnable,
Repart l'autre aussitôt ; mais il me faut encor
L'once de votre chair comprise dans l'accord.
Ce que vous demandez est une chose injuste
S'écria pour lors le chrétien.
Moi, je n'y vois rien que de juste,
Reprit de nouveau l'Indien,
J'en ai pour garant votre Seing.
Là-dessus on crie, on dispute ;
Mais si bien que le bruit en vient au Gouverneur,
Lequel craignant quelque rumeur,
D'abord aux contestants un de ses Gens députe
Pour leur ordonner de fa
Devenir devant lui tous deux plaider leur cause ;
Dans une heure ou deux au plus tard part,
Nos plaideurs arrivés, ils expliquent la chose.
Le Gouverneur ayant l'un et l'autre entendu
Fit au Païen cette réponse.
De la chair du chrétien tu peux couper une once,
Mais resous toi d'être pendu,
Si plus ou moins que l'once tu lui coupes.
Là-dessus on présente au païen deux soucoupes
Sur l'une le couteau dont il devait d'un coup
Sur la chair du chrétien écrire sa sentence ;
Sur l'autre on voyait un licou
Accommodé pour la potence.
A ces objets nôtre Indien,
De tout ayant donné quittance,
Se retira, fit-il pas bien ?
Toi, donc la cruelle avarice,
Te rend comme altéré du sang de ton Prochain ;
Et qui te rend par là l'horreur du Genre-humain,
De ton usure enfin reconnais l'injustice.